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gouvernements déchus et il avait fait en sorte de ne pas les recommencer. Son opération fut habilement conduite. Mais ce qui en servit le mieux le succès, ce fut que, cette fois, le sentiment général était du même côté que le chef de l’État et le ministre de l’Intérieur. En faveur de qui Paris se serait insurgé ? Pour une assemblée impopulaire ? Quelques hommes hardis ayant attaqué l’escorte qui conduisait une voiturée de députés à Vincennes, ce furent ces parlementaires eux-mêmes, des conservateurs peu héroïques, qui refusèrent d’être délivrés. On les laissa aller à leur prison avec un dégoût mêlé de raillerie. Les jours suivants, les curieux vinrent voir et narguer les députés en cage. Quand l’heure de la promenade les faisait apparaître sur la plate-forme du vieux donjon, les quolibets de la foule montaient jusqu’à eux. C’était l’état d’esprit de Brumaire, lorsque les habitants de Saint-Cloud étaient allés, au milieu des rires, ramasser les écharpes et les chapeaux à plume semés à travers bois par les Cinq-Cents fuyant devant les grenadiers de Bonaparte. Mon père, mon oncle répétaient souvent ce rapprochement que leur père avait fait devant eux au moment de Décembre, ce qui ne les empêcha pas, à l’âge d’homme, d’être républicains.

Les premières années du second Empire furent d’une facilité extraordinaire. On n’en pouvait pas douter, la France possédait le régime de ses vœux et de son choix. Il y avait longtemps qu’on n’avait vu aussi peu de dissidences. Des plébiscites triomphaux venaient affirmer que les Français avaient bien le gouvernement qu’ils avaient voulu. L’Empire excellait dans l’art d’obtenir les bulletins de vote, mais l’activité de ses préfets n’aurait pas suffi à expliquer un assentiment aussi général. C’est un fait que le second Empire a été, de tous les gouvernements de la France au dix-neuvième siècle, le mieux accueilli et le moins discuté. Il faudra attendre 1858 pour voir apparaître cinq opposants, les « cinq » fameux, au Corps législatif. Il est vrai qu’en 1871 il n’y aura plus que trois bonapartistes à l’Assemblée nationale pour protester contre la déchéance de l’Empire. Mais qui donc, après Sedan, se souvenait de l’approbation presque unanime de Décembre ? Alors Louis-Napoléon avait contenté tout le monde. Il avait rendu à la foule le suffrage universel que les parlementaires avaient imprudemment mutilé. Il avait