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ment européen ! Et Palmerston a passé pour le plus fort des hommes d’État parmi ceux de son pays et de son temps ! Le libéral-radical anglais et l’élu de la démocratie française s’étaient nourris au même lait des mêmes illusions et des mêmes erreurs.

Lorsque le conflit austro-prussien de 1850 éclata, le prince-président était donc tout disposé à donner le coup de pouce qui eût précipité le mouvement et livré l’Allemagne à la Prusse. Au lieu de commencer par l’unité italienne, la révolution de l’Europe eût commencé par l’unité allemande. C’était, en tout cas, le contraire de la manœuvre à faire. Mais si Louis-Napoléon eût eu alors une liberté de mouvement suffisante pour intervenir, c’est au secours de la Prusse qu’il fût allé. Par Persigny, son homme de confiance à Berlin, il faisait dire à Frédéric-Guillaume son regret de ne pouvoir contracter l’alliance qui était dans ses vœux. L’assemblée, les ministres s’y opposaient. Du moins promettait-il son concours à la Prusse « si, victime de la liberté, elle était menacée par les cours du Nord ». La Prusse, victime de la liberté : tout, dans cette histoire, est ironie. Mais, les cours du Nord, c’était avant tout la Russie. Nicolas Ier n’avait pas besoin de la France pour sauver le Hohenzollern et pour le tirer du mauvais pas où il s’était mis. L’empereur russe croyait avoir tout gagné en intervenant comme arbitre et en rétablissant l’Allemagne dans le statu quo. Il lui avait manqué un bon conseil, des amis capables de l’éclairer et de lui montrer que, s’il voulait éviter l’unité allemande, l’occasion était bonne, inespérée, qu’elle ne se représenterait peut-être plus. À qui devait revenir ce rôle d’avertisseur et de précepteur, sinon à la France, ainée de la Russie et qui, depuis plus longtemps qu’elle, avait l’expérience du péril allemand ? Au lieu de cela la France avait mobilisé 40.000 hommes, s’apprêtant à venir en aide à la Prusse « victime de la liberté ».

Dans l’assemblée, les anciens ministres de la monarchie, comme Thiers, brûlant un peu tard ce qu’ils avaient adoré, s’opposaient à la politique d’aventures qui était celle de l’Élysée, mais ils s’y opposaient mollement et sans éclat. Ils ne dénonçaient pas assez haut le péril, peut-être parce qu’ils sentaient que le vent ne soufflait pas dans leurs voiles mais dans celles