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fait et pour résister au péril allemand. Là encore, la médecine est venue trop tard. Après avoir rejeté l’alliance du tsarisme quand il était robuste, la démocratie française, pressée parle péril, s’est liée à sa destinée au moment où il devenait chancelant.

La brève période qui sépare du coup d’État l’élection de Louis-Napoléon à la présidence est généralement négligée. Elle est peut-être plus ignorée encore que le reste de notre histoire au dix-neuvième siècle. Quoique obscure, elle a été décisive. Déjà, c’était la politique extérieure et le programme des nationalités qui avaient contribué pour une large part à l’élection du 10 décembre. Ce fut encore ce qui décida de la chute de l’assemblée et, de la proclamation de l’Empire.

Les hommes qui, dans l'Assemblée nouvelle élue le 18 mai 1849, s’occupaient de politique étrangère, étaient, en général, comme le personnel diplomatique lui-même, encore pénétrés de l’esprit et de la méthode de Louis-Philippe. Ils eussent voulu que la République fît au dehors une politique mesurée et prudente. Le prince-président avait un programme à accomplir, celui que représentait « le nom de Napoléon ». Ce programme c’était les aventures, c’était la révolution européenne, le grand ébranlement avec tous ses dangers. Les conservateurs de l’Assemblée le sentaient bien ; ils ne le disaient pas ou ils le disaient mal. C’est que, pour le dire, il eût fallu réhabiliter les deux monarchies qui s’étaient succédé depuis 1815. Et cela, on ne l’osait pas. Il eût fallu aussi remonter le courant de l’opinion publique. Et cela, c’était ce qu’un corps élu pouvait faire moins que personne. Car il y avait ceci d’extraordinaire dans la situation : les millions de voix qui avaient plébiscité Louis-Napoléon, le 10 décembre, n’avaient su de quel côté se porter le 18 mai suivant, et elles s’étaient partagées entre des radicaux et des conservateurs, selon qu’elles croyaient mieux entrer dans les idées du prince-président. Ces pauvres Français ! Ils l’aimaient tant, alors, leur napoléonide ! Ils avaient en lui une telle confiance ! Et comme il n’y avait guère encore de candidat ouvertement bonapartiste, ils votaient soit pour la partie face, soit pour la partie pile du programme, soit pour l’ordre à l’inté-