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base de nationalisme, la politique française allait favoriser ou laisser faire l’unité allemande, jusqu’au jour où l’on comprendrait, — trop tard, — que cette unité ne pouvait se faire que contre nous.

L’année 1848 apporta la même déception des deux côtés du Rhin et laissa le même regret. Ce qu’on avait espéré de part et d’autre ne s’était pas accompli : le Parlement de Francfort s’était dissous sans avoir unifié l’Allemagne, la deuxième République n’avait pas osé prendre l’initiative redoutable de déclarer une grande guerre pour affranchir le monde. La France et l’Allemagne seraient dès lors acquises aux chefs qui leur promettraient de réaliser leur rêve. Napoléon et Bismarck n’avaient qu’à venir : ils seraient acclamés et suivis. Mais Napoléon devait venir d’abord, car c’était à la France qu’il appartenait d’ouvrir la brèche par laquelle Bismarck passerait. Sans elle, qui, par deux guerres successives, allait ébranler l’Europe et mettre la masse allemande en mouvement, l’unité germanique restait prisonnière aux limbes de Francfort.

Pour ressusciter le régime napoléonien, pour permettre au peuple français de déléguer à un Napoléon ses espérances, il fallait qu’une condition, une seule, fût remplie. Il dépendait de l’Assemblée constituante de décider du caractère à donner au pouvoir exécutif. Par un entraînement fatal, cette assemblée, qui se méfiait de Louis-Napoléon Bonaparte, adopta la mesure qu’il fallait pour lui ouvrir l’accès du pouvoir : elle opta pour le plébiscite. C’était son suicide : ses méfiances mêmes le préparèrent. Conservatrice, au fond, elle redoutait d’être soupçonnée de nourrir des projets de restauration monarchique. Pour éviter un roi, elle laissa faire un empereur. Lamartine lui-même, par une ambition ou une rancune indigne de son grand cœur, par fatalisme surtout peut-être, oublia ce qu’il avait annoncé huit ans plus tôt, quand il montrait, avant le retour des cendres, le danger de réveiller les souvenirs de l’Empereur. Son discours, qui entraîna l’adoption du plébiscite, proclamait la faillite de la République, « beau rêve » qu’avaient fait la France et le genre humain. Pour réaliser ce qu’il restait de ce