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de la République bourgeoise. Elle entendit le grand cri d’une foule idéaliste et affamée de justice. Justice au dehors, justice au dedans, justice pour tous. Et même justice d’abord pour les nations malheureuses. Les manifestants qui envahissaient l’assemblée criaient « Vive la Pologne ! » avant de crier « Vive l’organisation du travail ! » Lorsque Blanqui prit la parole, la cause qu’il défendit la première fut celle des Polonais. « Le peuple, s’écrla-t-il, exige que l’Assemblée nationale décrète, sans désemparer, que la France ne mettra l’épée au fourreau que lorsque l’ancienne Pologne tout entière sera reconstituée. » Cela dit, il voulut passer aux revendications des ouvriers français. Sobrier l’interrompit avec violence. « Il ne s’agit pas de cela. La Pologne ! la Pologne ! Parle de la Pologne ! »

Ainsi l’assemblée était sommée de jeter la France dans une grande guerre européenne pour délivrer la Pologne. Sous cette impression, elle vota son ordre du jour conciliateur du 24 mai : « Pacte fraternel avec l’Allemagne, reconstitution de la Pologne indépendante, affranchissement de l’Italie ». C’était la reconnaissance solennelle du principe des nationalités, son adoption par la démocratie. Reconnaissance et adoption platoniques. Déjà il, était certain que l’assemblée, ratifiant, comme Lamartine lui-même, la politique extérieure de Louis-Philippe, ne ferait pas la guerre. La révolution était une partie perdue pour la.Pologne, différée seulement pour l’Italle et pour l’Allemagne. Mais l’autre face de la justice ? Mais l’organisation du travail ? Quelques jours encore et la faillite en serait déclarée par la fermeture des ateliers nationaux.

L’orage qui grossissait dans le cœur des prolétaires était sur le point d’éclater lorsque, dans les heures lourdes qui précédèrent l’insurrection de juin, une voix s’éleva tout à coup. Elle parlait un langage où la France reconnut ses aspirations et ses désirs obscurs, où elle entendit enfin la formule que la République n’avait pas su trouver. « Mon nom est un symbole d’ordre, de nationalité, de gloire », disait Louis-Napoléon Bonaparte avec hauteur dans sa lettre d’adieu à l’Assemblée. Sur leur Aventin de la montagne Sainte-Geneviève et du faubourg Saint-Antoine, les prolétaires grondants, déjà séparés du reste de la France, négligèrent ces paroles. Elles émurent