Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/190

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

effacer dans les traités de 1815 ce que la défaite y avait inscrit de diminutions pour nous. Mais l’irréflexion, l’inquiétude des esprits, ne se prêtaient pas à cette politique d’attente qui eût voulu le concours du temps. « La France s’ennuie », disait Lamartine. Et bientôt il allait annoncer « la révolution du mépris ». Cette monarchie était méprisée parce qu’elle avait horreur des aventures, parce qu’elle lésinait surtout avec le sang français. Et la France s’ennuyait parce qu’il lui manquait l’émotion des batailles, fût-ce au risque d’une nouvelle invasion, et parce qu’elle se faisait aussi des illusions sur les dispositions des peuples à notre égard. L’Évangile de Sainte-Hélène avait conquis les âmes et déjà l’on peut dire que l’idée napoléonienne avait ramené l’Empire.

Cette idée avait pénétré les esprits au point que le gouvernement se croyait obligé de compter avec elle. Il lui faisait des concessions, au moins des concessions de forme, et qu’il estimait inoffensives, comme s’il y avait jamais rien d’inoffensif dans la genèse et dans la préparation des grands mouvements politiques. L’hommage officiel rendu en 1840 à la mémoire de l’Empereur eut un retentissement immense. Par une inconséquence étonnante, mais digne de sa grande imagination ouverte aux souffles de l’époque, Lamartine avait annoncé que le « retour des cendres » ranimerait des émotions dangereuses et propagerait des ondes qu’aucun pouvoir n’arrêterait plus. Mais l’évocation de la gloire, même stérile et coûteuse, l’exaltation de la grandeur, même sans durée, n’était-ce pas ce que voulait l’ « ennui » de la France que lui-même avait senti et proclamé ? Lamartine prononça un discours célèbre pour mettre la Monarchie de Juillet en garde contre l’évocation imprudente de l’ombre impériale. Discours prophétique. Il fallait le coup d’aile d’un poète pour devancer le temps et entrevoir la restauration de l’Empire au bout de ce cortège qui conduirait les restes de Napoléon à la chapelle des Invalides. Alors, pour la première et pour la seule fois de sa vie, Lamartine défendit la politique de Louis-Philippe contre les belliqueux du parlement et de la presse, contre les démocrates avides de révolutionner le monde, contre le parti dont Thiers était le chef et qu’Emile Ollivier, si dur aux autres, n’a pas mal appelé « le parti de la fanfaronnade ». Mais la politique de