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partis qui le poussaient à l’annexion et préféra la solution de la barrière belge, pour laquelle nous ne saurions aujourd’hui lui avoir assez de reconnaissance. Plus il allait d’ailleurs, plus il était frappé des changements de l’Europe. En 1840, au moment où menaçait une guerre inégale, évitée grâce à sa fermeté et à son coup d’œil, il avait pu observer le frémissement de l’Allemagne. Le patriotisme germanique, qui avait éclaté à cette occasion, reste marqué dans notre littérature par la réponse célèbre de Musset au Rhin allemand de Becker. Par-dessus les frontières et les gouvernements, déjà les nations se lançaient des défis. Louis-Philippe, averti du péril qui se formait au delà du Rhin, entrevit le choc de peuple à peuple, les guerres géantes qui s’apprêtaient. Dès lors, son principe fut d’éviter les incendies dans une Europe où les nationalismes naissants accumulaient les substances inflammables. D’ailleurs, il ne se contenta pas de rester immobile, d’observer le quieta non movere. Il chercha à prévenir pour guérir. De là son entente avec Metternich et l’Autriche pour arrêter les aspirations unitaires en Allemagne comme en Italie. Cette suprême précaution lui fut fatale et le parti du « mouvement », c’est-à-dire de l’imprudence, ne le lui pardonna pas.

Ainsi la question de la réforme électorale ne fut que l’occasion et le prétexte de la Révolution de 1848. Moins clairvoyant au dedans qu’au dehors, Louis-Philippe avait répété la faute de Charles X. Un malheureux préjugé l’obstinait dans ce régime censitaire qui faisait du parlement et du pouvoir le monopole d’une bourgeoisie disputeuse et frondeuse, d’un « pays légal » qui n’avait pas même foi dans le régime qu’il avait fondé. Le remède, c’eût été un appel hardi au suffrage universel, le suffrage stabilisateur, ratificateur et conservateur par excellence, au point d’être routinier, et qui eût donné au règne de Louis-Philippe l’appui des masses rurales. On n’y pensa pas, pas plus que la médecine d’alors ne songeait à l’antisepsie.

Cependant, grâce à la paix prolongée, la France, de jour en jour, devenait plus forte et plus riche. Elle achevait de guérir les plaies de l’Empire. Les circonstances aidant, après une période de circonspection et de sagesse, elle devait pouvoir, sans risques et à peu de frais, reprendre son rang en Europe,