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S’il eût suivi cette impulsion, Louis-Philippe eût conquis la foule, autant que Louis-Napoléon devait la conquérir plus tard. Son fils, le duc d’Orléans, jeune, ardent, inexpérimenté, souffrait de l’impopularité de son père. Il était animé aussi de cet esprit d’opposition et de contradiction, de ce désir de se distinguer et de faire « autre chose », que les héritiers présomptifs ont tous en commun. Il eût voulu que la politique extérieure de la monarchie renonçât à la prudence, qu’elle s’emparât des cœurs, en osant ce qu’un napoléonide eût osé. Il croyait que, pour consolider le trône, pour désarmer les républicains et les bonapartistes, il eût fallu tremper la monarchie par une grande guerre nationale, fût-elle « d’un contre quatre », comme celle que Louis-Philippe refusait d’entreprendre, en 1840, en dépit de Thiers et de l’opinion. Mieux valait, selon le duc d’Orléans, finir dans un glorieux désastre que dans le ruisseau de la rue Saint-Denis. Si le fils eût régné, il est probable qu’il eût profité des leçons de son père et que le roi des Français n’eût pas partagé les erreurs du duc d’Orléans. Mais le dilemme était posé. Aucun pouvoir ne serait durable en France, jusqu’à ce que les illusions révolutionnaires entretenues par l’évangile de Sainte-Hélène eussent montré leur néant. Ou bien il fallait être renversé par l’émeute après dix-huit ans de résistance, comme le Bourbon de la branche cadette, après trois mois de conflits comme Lamartine. Ou bien il fallait, par les voies triomphales du plébiscite, exécuter le testament impérial et s’en aller, comme Napoléon III, périr à quelque Sedan.

On s’est souvent demandé pourquoi, pendant le dix-neuvième siècle, la France avait fait tant de révolutions, changé si souvent de régime, abattu ses gouvernements les uns après les autres. On a cherché les raisons de cette instabilité dans le caractère français, dans les incertitudes d’un peuple partagé entre des traditions contraires, hésitant entre la liberté et l’autorité. On n’a pas tenu compte de la passion essentielle qui le tourmentait. Depuis Waterloo, la France aspirait à un gouvernement qui lui apportât la revanche par la politique révolutionnaire et napoléonienne, par une rénovation violente de