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participer au gouvernement. Jamais machine politique ne parut mieux conçue à ses auteurs. Et, puisqu’elle les comblait eux-mêmes, elle devait satisfaire tout le monde.

Le roi de cette monarchie n’aurait donc ni idée ni volonté ? Le peuple n’aurait ni sentiments, ni passions, ni besoins ? Un régime fondé sur cette méconnaissance des hommes et sur cette double erreur avait peu d’avenir devant lui.

Une des plus grandes explosions de mysticisme que la France ait connues s’est préparée de 1830 à 1848. Au dedans, la classe dirigeante faisait naturellement, et sans même y songer, de la compression sociale. Quelques milliers d’électeurs, environ 245.000, trouvaient que tout était pour le mieux et que les institutions de la France étaient arrivées à la perfection. Puisqu’ils avaient le privilège de faire des députés, ils faisaient aussi les lois et il leur semblait conforme à la raison et à l’évolution de l’histoire que les lois fussent faites pour eux, que les droits de l’homme fussent ceux du propriétaire. Ainsi s’exaspéraient les désirs de justice et de bonheur immédiat dans la classe la plus nombreuse et la plus pauvre.

Cependant il n’a pas tenu à l’oligarchie parlementaire que la France ne courût au dehors les pires aventures. Sur ce point, la bourgeoisie libérale se retrouvait peuple et foule. La prévoyance et le sentiment de l’intérêt national furent représentés par ce roi qu’on n’avait mis sur le trône qu’à la condition qu’il y resterait oisif. L’histoire de la Monarchie de Juillet a été celle d’une longue lutte de la royauté contre les entraînements du parti de la guerre. Avec courage et abnégation, Louis-Philippe, pour conserver une paix nécessaire, mettait en jeu la frêle couronne qu’il avait trouvée aux pieds des barricades. Il bravait les outrages d’une opposition belliqueuse pour épargner à la France des conflits qui eussent été désastreux, mais auxquels, au nom des principes et des souvenirs révolutionnaires, au nom de la liberté, de la propagande et de la gloire, les Français auraient couru tête baissée.

Dès les premiers jours de son règne, le sort de Louis-Philippe était écrit. Il avait dû se mettre à la tête de la « résistance » contre le parti du « mouvement » qui insistait pour la déclaration de la guerre aux tyrans, l’abolition des traités de 1815, la revanche de Waterloo par l’indépendance des peuples.