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publique qui demandait à être reine, pressentait qu’un péril pût venir d’Allemagne ? Qui songeait à redouter la Prusse ? Pour la Prusse libérale, pour les Hohenzollern, pour l’héritier de « l’immortel Frédéric », la France nourrissait encore une tendresse léguée par le dernier siècle. En 1814, lorsque les rois alliés étaient entrés en vainqueurs à Paris, Frédéric-Guillaume avait trouvé des sympathies. « On tint compte au roi de Prusse de longs malheurs, d’une bravoure de soldat et d’une simplicité toute bourgeoise », dit Béranger dans ses souvenirs. En quoi donc les malheurs de la Prusse touchaient-ils les Parisiens ? Un peu plus tard Chateaubriand, l’ami du chansonnier, son frère d’élection, était envoyé comme ministre à Berlin. Ses dépêches diplomatiques, ses « hautes dépêches » comme il les appelait lui-même dans une lettre à Mme de Duras, ne témoigne en nul endroit qu’il ait compris que, pour la France, l’Europe et le monde, la Prusse était un danger.

Le ministère, les Bourbons, voilà l’ennemi que les conducteurs de l’esprit public désignaient à la foule. On les combattait au nom de la gloire et de la grandeur françaises. L’un des principaux organes qui préparaient la révolution s’appelait même le National. Où était son intérêt ? Le jeune Thiers, complice aveugle d’un bonapartisme latent, chauffait le lit de cette restauration napoléonienne dont il devait plus tard, mais en vain, dénoncer les fautes et les erreurs. Comment la foule ne serait-elle pas excusable de s’être trompée quand des aristocrates, des écrivains, des philosophes, des historiens qui se croyaient des politiques profonds la menaient vers l’inconnu ?

Le 27 juillet 1830, à l’appel de la presse, la fusillade commença de retentir dans les rues de Paris. On dit que Thiers et Guizot, anxieux, un peu effrayés de l’aventure, doutaient du succès. On raconte aussi, et l’anecdote réjouissait Sainte-Beuve, que Rouget de Lisle, arrivant chez des amis, leur dit d’une voix altérée « Ça va mal, on chante la Marseillaise. » Cependant le peuple y allait franc jeu bon argent.

Enivré par l’odeur de la poudre, un jeune garçon, qui avait juste l’âge de la monarchie restaurée, avait décroché le fusil de