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Palmerston, voyageant en France quelques mois avant la Révolution de 1830, notait ceci : « La France est prospère. Elle n’a besoin que de la paix pour devenir puissante. L’intérêt de sa dette est seulement de sept millions sterling et son fonds d’amortissement est de trois millions sterling. Les taxes sont légères et le peuple heureux. » Chose grave, qui donnait raison à l’homme de Sainte-Hélène, ce bonheur n’était pas goûté. Il fallait à la France de grandes guerres et de lourds impôts. Il fallait qu’elle travaillât contre elle-même à l’agrandissement de ses ennemis. La Restauration était pour elle comme un conseil judiciaire imposé à un prodigue. Le peuple français était un fils de famille impatient de reprendre le cours de ses aventures. Il croyait les ressources nationales inépuisables. Il ne voyait pas que la grandeur de la France, sa force, sa fortune, sa sécurité lui étaient venues du labeur des générations. Comme un jeune héritier, il trouvait naturel d’être riche et puissant, d’avoir de bons murs et un bon toit, sans réfléchir que toute richesse n’est que de l’effort accumulé, qu’elle doit être surveillée et entretenue. Déjà, de 1792 à 1815, une large brèche avait été ouverte dans le patrimoine national. La position de la France en Europe était moins bonne, moins sûre qu’elle ne l’avait été au dix-huitième siècle. Au milieu de nos gaspillages, d’autres peuples avaient grandi. Où il n’y avait eu que poussières d’États, des nations tendaient à se former. L’Allemagne se concentrait. Elle n’était plus séparée de son unité que par les divisions que lui avaient imposées le congrès de Vienne, précaution suprême du monde civilisé. Mais quoi ? L’Allemagne aussi n’avait-elle pas le droit de vivre et d’épanouir son génie ? La doctrine des nationalités ne s’appliquait-elle pas à l’Allemagne comme aux autres ? Il fallait, selon la voix de Sainte-Hélène, qu’il y eût une grande et noble Allemagne pour que la Sainte-Alliance des peuples détrônât celle des rois.

C’est là que la duperie mortelle a commencé. Sans doute il y avait alors une Allemagne libérale. Par l’assassinat de Kotzebue, agent de la tyrannie, l’étudiant Sand avait attesté l’esprit révolutionnaire de la jeune Allemagne. Mais cette