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lippe, les légitimistes, avec Genoude, s’avisèrent de cette vérité simple que Napoléon III et Bismarck devaient si bien exploiter. Émile Faguet a eu raison de dire que, si Charles X avait donné le bulletin de vote aux paysans français, il serait encore sur le trône. Et nos paysans n’auraient eu ni les invasions, ni les guerres, ni le service obligatoire avec le sacrifice du sang.

Mais qu’importait alors la défense du sol, l’économie du sang français ? On faisait de l’opposition et l’opposition se nourrissait des souvenirs napoléoniens, elle s’appuyait sur l’évangile de Sainte-Hélène. La plus grave accusation qui ait été lancée contre la Restauration, c’est celle qui sera reprise contre Louis-Philippe : la monarchie, trop pacifique, humilie la France. Elle n’est pas assez riche de gloire militaire. Et, dans les assemblées, les membres les plus fougueux de la gauche, les opposants les plus irréductibles, ce sont d’anciens généraux de l’Empire, c’est Foy, Lamarque, Gérard, Sébastiani, Tarayre, Demarsay, Clausel, d’autres encore. C’est M. de Corcelle, colonel de la Garde nationale sous les Cent Jours. Le sabre, en ce temps-là, était libéral. Il était même radical-socialiste, et c’est ce qu’on a appelé justement le « militarisme révolutionnaire ». Notre démocratie républicaine qui, avec un programme de paix, n’a pu éviter la plus grande des guerres, aura eu pour auteurs et pour ancêtres ces retraités belliqueux.

La démocratie napoléonienne devait surgir à la longue des ruines de la monarchie. Dans les disputes de la Restauration, elle apparaît déjà telle qu’elle se réalisera plus tard. Le second Empire est en germe dans l’opposition de Béranger, de même que l’enterrement tumultueux du général Lamarque, sous la monarchie de Juillet, préludera au plébiscite. Les illusions, les erreurs de Napoléon III, ses guerres contre le tsar ou contre la Maison d’Autriche, guerres si populaires et génératrices du désastre final, on les trouverait déjà annoncées dans les discours des orateurs de gauche à la tribune de la Restauration. Qu’était-ce que « l’éloquent Manuel » ? Un bonapartiste. Il confiait à Guizot que Napoléon était « probablement la solution la meilleure des problèmes de l’avenir ». Son éloquence était un écho de Sainte-Hélène. Voilà pourquoi elle allait au cœur de la démocratie.