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quoi, pendant quinze ans, Napoléon avait fait la guerre. Il s’en persuadait lui-même. À distance, il reconstruisait sa propre histoire, il lui donnait une couleur libérale et humanitaire, il en accentuait les caractères d’idéologie.

C’est ainsi qu’il se vantait d’avoir été le bienfaiteur de l’Allemagne. Pourquoi les Allemands, comme nous-mêmes, n’auraient-ils pas leur unité ? Pourquoi ne formeraient-ils pas un État ? La France et l’Europe avaient été injustes envers eux, depuis les traités de Westphalie jusqu’aux traités de Vienne. Erreur de les tenir en suspicion, de les diviser comme un peuple dangereux, de les mettre en surveillance. Napoléon se félicitait d’avoir « simplifié leur monstrueuse complication ». Son vœu eût été de « réaliser la nationalité germanique », d’en faire « une vaste et puissante monarchie fédérative, une grande union nationale ayant le même drapeau, les mêmes impôts et les mêmes intérêts ». Cette grande monarchie fédérative, la voici justement c’est celle de Guillaume II. Elle est le fléau du monde et, contre elle, le monde a dû se liguer…

Les nations, reines par nos conquêtes,
Ceignaient de fleurs le front de nos soldats.

Béranger, qui a été le poète populaire de la propagande napoléonienne, adoptait et vulgarisait, dans ces vers du Vieux Sergent, la légende et l’évangile de Sainte-Hélène. Napoléon avait porté dans les imaginations le coup qui devait lui livrer la France du dix-neuvième siècle. Sa cause se confondrait désormais avec celle de la liberté et de la Sainte-Alliance des peuples. Sa dictature elle-même, il l’avait représentée comme la dictature d’un libéral, d’un « Washington couronné », despote malgré lui et pour le bien du monde. Ses ennemis seuls ne lui avaient pas permis d’achever son dessein, de compléter l’affranchissement de l’Europe par des institutions libres à l’intérieur. J’ai été « le Messie » de la Révolution, disait-il, et mon nom sera pour les peuples « le cri de guerre de leurs efforts, la devise de leurs espérances. »

Par là, Sainte-Hélène est devenue pour le dix-neuvième