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quelques hommes pour lesquels il demandait que la France n’eût pas de pardon. Il savait cependant que la rancune n’est pas un état d’esprit politique. Chateaubriand, par sa fameuse brochure de Buonaparte et des Bourbons, avait fait autant que l’ancien évêque d’Autun pour le retour de Louis XVIII, et pourtant le testament napoléonien n’est qu’indulgence pour Chateaubriand : avec une sûreté de jugement étonnante, Napoléon avait reconnu dans le romantisme littéraire un auxiliaire du romantisme politique auquel il attachait désormais sa cause. Quant à la personne et à la qualité morale de Talleyrand, elles lui importaient peu. C’est contre les idées dont le négociateur de Vienne était devenu le représentant qu’il provoquait l’impopularité et la défiance. Le système que Napoléon élaborait à Sainte-Hélène prenait, en effet, le contre-pied de cette diplomatie expérimentale par laquelle la Restauration et la Monarchie de juillet devaient assurer trente-trois ans de repos et de prospérité à notre pays.

La chimère a toujours été plus séduisante que les calculs des sages. Notre fabuliste l’a dit « L’homme est de glace aux vérités, il est de feu pour les mensonges. » La vérité, c’était cette raison constructive qui devait rendre à notre pays sa place dans le monde sans soulever d’orages au dehors. Le mensonge n’eut pas de peine à obtenir la préférence.

Que disait Napoléon dans ces entretiens que les compagnons de sa captivité se chargeaient de répandre ? Il se faisait l’apôtre d’une politique nouvelle, et cette politique avait les caractères et les attraits d’une religion. C’était un vaste programme idéaliste, une déclaration des droits et des devoirs du peuple français, une audacieuse refonte de l’Europe d’après les principes de liberté, d’égalité, de fraternité et de justice. Que voulaient ces gouvernements timorés, ces diplomates professionnels asservis aux vieilles recettes d’équilibre et que l’empereur déchu, à qui ils avaient succédé, traitait avec un suprême dédain ? Ce qu’ils avaient restauré, c’était la routine. Leur prudence diminuait, déshonorait la nation française, l’empêchait de se relever. Sans eux, contre eux, la politique dont Napoléon traçait les grandes lignes rénoverait le monde, et elle le rénoverait d’un seul coup, sans attendre le travail du temps, dédaignant les précautions égoïstes et lâches. La cause de la France,