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ditions les meilleures que pût espérer la France, alors que de folles entreprises avaient conduit quatre armées ennemies sur notre territoire. La France telle qu’elle était en 1789, avant ses aventures, ne se retrouvait plus tout à fait intacte. Du moins, l’essentiel était sauf. Nos anciennes frontières étaient à peu près respectées. Le vieux péril germanique, conjuré au dix-septième siècle, après tant de luttes, par les traités de Westphalie, ne reparaissait pas à nos portes. Nous gardions le contact et la protection du Rhin. Il n’y avait pas de puissante Allemagne unie pour menacer à toute heure du jour la paix et notre existence nationale. L’élément positif laissé par vingt ans de guerre nous restait aussi : un capital de gloire accru, une réputation de valeur militaire qui enseignait de quoi les Français étaient capables, qui conseillait aux convoitises étrangères de ne pas s’y frotter. La France, à l’abri du danger allemand, son grand danger de toujours, pouvait vivre, prospérer, se développer conformément à son génie. Avec un peu de prudence, cette situation serait maintenue. Avec du temps, de la patience, elle fût devenue encore meilleure. Les dernières conséquences de Waterloo eussent été réparées. Sur tous les points, sans irriter ni blesser aucune nation, nos limites naturelles auraient pu être atteintes. Il suffisait de laisser faire ceux qui savaient, ceux qui prévoyaient, ceux qui possédaient les saines méthodes et les traditions éprouvées.

Le vade mecum diplomatique rédigé par La Besnardière, sous l’inspiration de Louis XVIII et de Talleyrand, pour nos représentants au Congrès de Vienne, traçait très exactement la ligne de conduite qu’il y avait à suivre pour épargner à la France l’invasion de 1870 et celle de 1914. Il n’était pas possible d’être plus pénétrant. Cette instruction mémorable, dont la clairvoyance a été admirée trop tard, disait en quelques mots le suffisant et le nécessaire :

« En Italie, c’est l’Autriche qu’il faut empêcher de dominer ; en Allemagne, c’est la Prusse. La constitution de sa Monarchie lui fait de l’ambition une sorte de nécessité. Tout prétexte lui est bon. Nul scrupule ne l’arrête. La convenance est son droit. Les Alliés ont, dit-on, pris l’engagement de la replacer dans le même état de puissance où elle était avant sa chute, c’est-à-dire avec dix millions de sujets. Qu’on