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tous contre les exigences des peuples, contre les mouvements nationaux et les appétits de domination des États. Ainsi d’immenses calamités étaient épargnées à la communauté européenne, où personne ne peut bouger que tous ne se heurtent. Ainsi apparaissaient des horizons sûrs. Mais c’étaient des horizons limités. Le repos, le travail pacifique et fécond succédaient à une ère de bouleversements. Était-ce assez pour contenter les hommes ? Napoléon ne le crut pas. Toujours il avait su parler à la nation française. A Sainte-Hélène, il eut la divination des paroles qu’elle voudrait entendre encore.

Par le système européen sorti du Congrès de Vienne, les ambitions et les passions des peuples, non seulement du peuple français, mais celles des autres, bien plus dangereuses, se trouvaient comprimées. Napoléon savait que les peuples ne se gouvernent pas par la raison, encore moins par le bon sens. Les rois calmaient l’Europe. Il paria pour le réveil et pour l’explosion. Dans sa solitude, il élabora une doctrine qui devait attirer à sa cause les sentiments confus qu’il sentait destinés à grandir. Déjà, pendant les Cent Jours, il avait fait alliance avec les républicains et les libéraux. Il avait vu, après la seconde abdication, le grand Carnot pleurer sur son épaule. De ce moment lui apparut une politique nouvelle, la seule qu’il eût encore à tenter. Les années qui lui restaient à vivre en exil, il allait les employer à rajeunir l’idée napoléonienne, à changer le plumage de l’aigle.

Parfois il eut l’illusion qu’il travaillait pour lui-même et que, chassant les rois, les peuples viendraient le délivrer, enflammés par ses promesses. En tout cas, il travaillait pour son fils, il travaillait pour l’avenir. Il donnait à la cause napoléonienne un fondement plus vaste et plus solide que sa personne et son génie. Il l’associait à une force universelle. Tôt ou tard, quelqu’un des siens devait profiter de cette alliance entre les souvenirs d’Austerlitz, les aspirations des peuples, les espoirs et les regrets de la Révolution.

C’est peut-être de Sainte-Hélène que Napoléon aura eu le plus d’action sur les destinées de la France. Là-bas, il a préparé la démocratie impériale, le règne de Napoléon III, les malheurs qui s’en sont suivis. Le premier Empire, terminé par deux invasions, avait été liquidé par Louis XVIII dans les con-