Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/138

Cette page a été validée par deux contributeurs.

n’avons cessé de développer, depuis bientôt un an, sur les causes du conflit allemand, et depuis sept ans, sur la solution de la crise qui agite l’Italie. » Le Journal des Débats approuvait au nom du libéralisme doctrinaire : « La déclaration contenue dans la lettre de l’Empereur ne laisse aucun doute sur la politique que le gouvernement compte suivre en prévision des événements qui se préparent et, nous devons le dire, cette politique est conforme sur tous les points essentiels à nos propres idées. » Enfin, le Siècle, par la plume d’un autre de ses rédacteurs, plus explicite encore que tous ses confrères, écrivait ceci : « Qu’on le sache bien : être pour la Prusse et pour l’Italie, c’est vouloir le triomphe de la plus juste des causes. C’est rester fidèle au drapeau de la démocratie. Et maintenant, que les adversaires de l’Italie — et de la Prusse — disent franchement s’ils sont pour ou contre la démocratie et la révolution. »

Ainsi, être pour la Prusse, c’était, en 1866 encore, être pour la démocratie et la révolution ! Comment aujourd’hui ne pas évoquer ces souvenirs ! Quel retournement des situations, quel emploi des mêmes formules, appliquées cette fois au militarisme prussien et à la réaction prussienne ! Les historiens de l’avenir railleront peut-être. Mais nous, ce n’est pas par leur ironie que nous frappent ces variations de l’opinion publique. Nous sommes sensibles surtout aux erreurs de la démocratie, erreurs homicides, qui devaient coucher tant de Français sur les champs de bataille de 1870, en coucher davantage encore sur les champs de bataille de 1914-1915…

À la nouvelle de Sadowa, Paris, alors républicain, avait illuminé. Oui, le Paris de 1866 illuminait pour la victoire de la Prusse. N’était-ce pas, comme disait le Siècle, une victoire de la révolution ? Et l’on était à si peu de mois de l’année terrible ! Jamais foule n’aura crié d’un meilleur cœur « Vive ma mort ! meure ma vie ! » Quand on s’aperçut de la vérité, quand Thiers eut lancé ses vains et tardifs avertissements, quand il apparut que la Prusse était une puissance formidable, qu’elle allait ressusciter une puissante Allemagne, que le tour de la France était venu, après celui du Danemark et de l’Autriche, alors il fut trop tard. La démocratie allait, plus cruellement qu’il ne lui était arrivé encore, payer ses erreurs, son ignorance.