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avaient inspiré les chansons de Béranger, cent pages ardentes de Quinet et de Michelet. Cette lutte fut engagée par le second Empire qui acceptait ce que la deuxième République n’avait osé entreprendre. Le système de Napoléon III fut d’ailleurs celui d’une balance équilibrée avec adresse au dedans, en faisant respecter l’ordre, la religion, la propriété, il donnait satisfaction aux conservateurs ; au dehors, par sa politique des nationalités, il comblait les vœux des démocrates : ainsi sa position vis-à-vis du suffrage universel était singulièrement forte. Plus tard, avec l’Empire libéral, il cherchera à renverser les termes de l’équation. Mais l’impulsion était acquise, et ce qui avait été fait ne pouvait plus être racheté. En essayant de revenir en arrière, on ne fera plus que précipiter la catastrophe…

On a dit que le caractère de Napoléon III était indécis. Dans sa volonté de mener jusqu’au bout la politique des nationalités il a montré pourtant, jusqu’en 1866, une résolution dont rien ne put le distraire. Pour abolir les traités de 1815, ce qui était la condition préalable d’un remaniement de l’Europe, Napoléon III procéda par étapes exactement calculées. La première fut la guerre à la Russie. Affaiblir la Russie, en abattre le prestige en Europe, c’était achever la Sainte-Alliance, c’était rendre possible pour l’avenir une guerre contre l’Autriche afin de libérer l’Italie. La démocratie comprit à merveille ce calcul, pressentit que ses vœux allaient être remplis. La guerre de Crimée, la guerre contre le tsarisme et l’autocratie, fut une guerre populaire. M. Gustave Geffroy a raconté, dans l’Enfermé, comment le révolutionnaire Barbès, alors emprisonné, comme ce fut le lot le plus commun de sa carrière, fit parvenir, du fond de son cachot, ses félicitations à l’homme du 2 décembre en apprenant que l’Empire allait combattre la réaction moscovite. Instructive concordance Bismarck : de son côté, a rapporté, dans ses Souvenirs, que ses yeux commencèrent à s’ouvrir, que ses sentiments profondément réactionnaires de hobereau prussien changèrent, qu’il cessa d’être partisan de la Sainte-Alliance à compter de la guerre de Crimée et qu’il conçut alors son système : profiter de tout ce que ferait Napoléon III contre les traités de 1815 pour pousser jusqu’au bout la destruction de ces traités, par qui la Prusse était enchaînée et