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dait depuis 1815. C’étaient en même temps des libéraux et, comme les appelait Metternich, des jacobins. Ils croyaient pouvoir réaliser l’unité allemande par un régime parlementaire et libéral. Les poètes, les historiens, les philosophes, les philologues qui avaient répandu, en opposition avec l’ensemble des forces conservatrices et particularistes de l’Allemagne, l’idée d’une renaissance de la patrie allemande, s’imaginaient aussi pouvoir en être les ouvriers. Ils abondaient au Parlement de Francfort. Pourtant leur échec fut rapide et complet. L’Assemblée dut se séparer après des scènes de désordre et des massacres. L’essai d’une unification de l’Allemagne par le libéralisme était concluant : ce n’était pas ainsi que le nationalisme germanique réussirait. Entre le libéralisme et le nationalisme, les patriotes allemands devraient choisir. Bismarck, bientôt, allait choisir pour eux, et l’unité allemande, au lieu d’aboutir à la naissance d’une grande République idéaliste (comme se le figurait Michelet entre tant d’autres), se former à l’image de son créateur, l’État prussien, monarchique, aristocratique et guerrier.

Quel que fût le génie politique de Bismarck, tout montre, cependant, qu’il n’eût pas réussi à faire sortir l’unité allemande des limbes où le Parlement de Francfort l’avait replongée, s’il n’avait rencontré, pour seconder ses projets, Napoléon III et la politique des nationalités.

Bismarck a eu un prédécesseur dont le nom est aussi obscur que le sien est illustre. Ce précurseur malheureux a voulu tenter la même chose l’unité de l’Allemagne par l’hégémonie prussienne. Radowitz, en 1849, entreprit, par le même programme que celui de Bismarck, de faire des Hohenzollern les syndics du patriotisme allemand et de montrer qu’eux seuls pouvaient réussir où le Parlement de Francfort venait d’échouer. Pourtant Radowitz ne parvint qu’à procurer à la Prusse l’humiliation d’Ollmütz, au lieu de la mener à Sadowa et à Sedan. C’est qu’il s’était heurté à l’Autriche et à la Russie, unies pour faire respecter les données essentielles des traités de 1815 et pour barrer à la Prusse la voie qui l’eût conduite à la domination de l’Allemagne. Peut-être la Prusse eût-elle encore subi plus que cette reculade, déjà cruelle et humiliante, et l’Autriche aurait-elle profité de l’occasion pour lui reprendre la Silésie. Mais la Russie intervint dans un sens modérateur :