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nent et lâche système qui proclamait l’égoïsme politique de la France ». L’opposition, après avoir reproché à Louis-Philippe ses efforts pour maintenir la paix, l’accusait de trahir en Europe la cause de la France, liée à celle de la liberté et des nationalités. C’est par les journalistes, par les orateurs, que l’opinion avait été surexcitée. De la tribune du Parlement, où ces reproches n’étaient qu’un prétexte, ils avaient passé dans la foule. Ils furent consubstantiels à l’insurrection, et l’exploitation de l’idéalisme révolutionnaire par la bourgeoisie parlementaire porta, à ce moment, ses fruits les plus singuliers. Lamartine plaidant contre Guizot la cause des peuples était sincère. Comment Thiers l’eût-il été ? Thiers, dans son opposition contre Guizot, s’était fait l’avocat du principe des nationalités dont il sera l’adversaire dix ans plus tard, lorsqu’il s’agira de faire de l’opposition à l’Empire. Dans le discours qu’il prononçait sur les affaires étrangères, en février 1847, Thiers traçait, ni plus ni moins, les grandes lignes de la politique de Napoléon III. Les fautes que Thiers dénoncera lui-même plus tard au Corps législatif avec toute l’éloquence qu’on gagne à avoir raison, il les suggérait, par esprit d’opposition et de rancune, à l’opinion publique et au gouvernement du lendemain : cet adversaire de l’Empire, autant que personne en France, aura rendu possible le coup d’État de Louis-Napoléon.

La monarchie de Juillet tomba au moment où la fermentation de l’Europe nécessitait plus que jamais, de la part de la France, une politique de circonspection. Louis-Philippe, « parce que Bourbon », n’avait servi que les intérêts du pays. La démocratie n’avait pas su le comprendre. Et les partis s’étaient fait un jeu de l’aveugler, d’exploiter ses chimères, ses illusions, sa générosité. 1848 fut, si l’on veut, la victoire de la nation, mais sa victoire contre elle-même. La France désormais sera libre de servir la cause des peuples, de reprendre en Europe le programme de la politique révolutionnaire, libre de se sacrifier, de gaspiller ses chances, de compromettre sa sécurité et son avenir. Quelqu’un viendra même qui exécutera le programme devant lequel la seconde République aura reculé. La dernière forme de la monarchie disparue, il n’y aura plus personne pour défendre avec efficacité l’intérêt national français.