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coalition », et le roi, dont le pouvoir personnel était visé derrière Molé, fut atteint en même temps que lui.

Ce triomphe de la politique des partis reçut, malheureusement pour la France, un châtiment éclatant et rapide. La coalition parlementaire reprochait à Louis-Philippe de manquer de fierté vis-à-vis de l’étranger. Or il advint que Thiers, rentré au pouvoir, inaugura une politique active et provocante, dont le principe fut de soutenir Méhémet-Ali contre le Sultan et au besoin contre l’Europe. Thiers avait pris le ministère le 1er mars 1840. Le 15 juillet, la France apprenait soudainement que les quatre grandes puissances avaient réglé la question d’Orient sans elle, sans la consulter, sans même l’avertir. Nous étions revenus à la situation de 1830 et de 1814, avec la Sainte-Alliance contre nous. Mais, aux gouvernements, s’étaient joints les peuples. Il fallut compter cette fois avec le nationalisme germanique réveillé et qui avait retrouvé sa violence des temps napoléoniens et de la guerre d’Indépendance. Thiers avait bravé l’Europe. Il avait réchauffé les souvenirs de la Révolution et de l’Empire. Il envisageait sans déplaisir une guerre de la France contre l’Europe entière, guerre absurde, mais qui l’eût couvert de gloire, quelle qu’en fût l’issue. On le trouvait dans son cabinet, couché à plat ventre sur des cartes où, tel Bonaparte, il préparait ses batailles… La guerre fut évitée encore une fois par Louis-Philippe qui, heurtant l’opinion, au risque de passer pour pusillanime, et n’hésitant pas à découvrir sa personne, réparait la faute de son ministre parlementaire. Louis-Philippe s’était mis courageusement en travers du courant qui entraînait la France vers une guerre inégale avec l’Europe. Il ne craignit pas de s’exposer lui-même, de sortir de sa neutralité constitutionnelle, de braver l’impopularité en résistant à ce qu’il appelait avec sagesse « la lutte d’un contre quatre ». Mais, Thiers ayant offert sa démission au roi qui lui refusait « sa » guerre, Louis-Philippe ne voulut pourtant pas qu’il fût dit que le ministre dont il n’approuvait pas la politique eût quitté les affaires sous la menace de l’étranger. Ce fut Thiers encore qui, en octobre 1840, procéda aux préliminaires de l’arrangement très honorable par lequel notre protégé Méhémet-Ali, en échange de la Syrie restituée au Sultan, recevait l’investiture héréditaire pour l’Égypte que les puissances, en