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grand drame, c’est la guerre populaire voulue et provoquée par les hommes de la Révolution, la guerre de 1792, qui s’achève. Car, depuis la rupture avec l’Autriche, œuvre de la Législative, jusqu’à la dernière bataille de Napoléon, ce n’a été qu’une seule et même guerre qui, après vingt-trois ans de péripéties, des millions d’existences consommées, a fini par notre défaite et ne nous a laissé comme consolation qu’un capital de gloire… Alors le descendant de Hugues Capet revient pour sauver ce qui peut l’être, recommencer l’œuvre de ses pères. Patiemment, il s’efforce de retisser la toile. Avec courage, Louis XVIII se charge de liquider l’héritage, si lourd, qu’il a retrouvé. D’un mot étonnant dans son raccourci, Proudhon a dit, en parlant de 1815 : « Les malheureux Bourbons se remettent, comme des forçats, à la tâche. » Tâche ingrate, dont ils devaient être récompensés par la calomnie et par l’exil.

Les traités de 1815 ont été pendant la plus grande partie du dix-neuvième siècle un objet de haine et d’horreur pour le patriotisme français. Par crainte de l’opinion publique, les gouvernements qui se conformaient à ces traités n’osaient eux-mêmes s’en réclamer, ne les nommaient qu’avec précaution. Thiers disait qu’il fallait les détester en les respectant et Guizot qu’il fallait les respecter en les détestant. Les derniers volumes de l’Histoire du Consulat et de l’Empire, de Thiers, qui furent publiés en 1860-1862, contiennent encore une critique ardente des traités de Vienne au point de vue national. Lorsqu’en 1863 Napoléon III déclarait que « les traités de 1815 avaient cessé d’exister », c’était aux applaudissements, de la foule, qui jamais d’aussi bon cœur et avec autant d’irréflexion qu’en France n’aura crié « Vive ma mort ! »

Il a fallu les cruelles leçons de 1870 pour donner un autre cours, non pas à l’opinion publique, toujours lente à se mettre au niveau de la raison et de la science, mais aux jugements de l’histoire. Comparés au traité de Francfort, les traités de Vienne sont apparus tels qu’ils ont été : un chef-d’œuvre de diplomatie, par lequel les effets d’écrasants désastres ont été réparés dans la mesure du possible. Par une effroyable ingratitude, l’opinion publique a fait porter aux Bourbons la peine des défaites, que le règne de l’opinion avaient causées, dont l’idole du peuple était responsable. S’il est un exemple qui apprenne aux grands