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Rome, comme les Césars germaniques nommaient leurs fils roi des Romains. Mais, une fois Napoléon tombé et cette fantasmagorie dissipée, les vieilles institutions électives et anarchiques de l’Empire ne renaîtront plus, la place deviendra libre pour un Empire nouveau et il y aura peu de chances de retrouver les conditions qui avaient établi l’impuissante politique de l’Allemagne. « Ce cher Saint-Empire, comment tient-il encore debout ? » Ainsi chantent, dans le Faust de Goethe, les compagnons de la taverne. Tout vieux qu’il était, il durait, tel que nous l’avions ligoté et paralysé en 1648. Les Français auraient dû être les derniers à l’abolir. En l’abattant, ils détruisaient l’une des principales garanties de leur sécurité. La révolution accomplie au delà du Rhin par nos armées et nos législateurs ne portait pas seulement sur la constitution territoriale et politique des pays allemands. Une autre révolution, non moins grave, s’était faite dans les esprits, parallèlement au mouvement révolutionnaire français. Les historiens sont aujourd’hui d’accord pour reconnaître que les idées de 1789, portées à travers les Allemagnes par nos soldats, y réveillèrent le sentiment de la nationalité. « Jean-Jacques Rousseau. », a dit d’un mot curieux Dubois-Reymond, très prussien comme tous les descendants de réfugiés de la révocation de l’Édit de Nantes, « Jean-Jacques Rousseau fut accueilli en Allemagne comme un Christophe Colomb. » L’Allemagne se reconnaissait elle-même dans les livres du philosophe de Genève, dont les propagandistes armés de la Révolution française apportaient ou plutôt rapportaient avec eux la doctrine, consubstantielle au germanisme. « Le patriotisme allemand sort des Droits de l’Homme », remarque Albert Sorel. Il en sort par la filiation la plus naturelle.

Le principe des nationalités est l’expression même de la philosophie révolutionnaire. Il est en corrélation directe avec le principe de la souveraineté du peuple. Toute nation est censément composée d’individus doués de droits imprescriptibles et intangibles. La doctrine de la Révolution attribuera donc à chaque nation les mêmes droits, qu’aux individus qui la composent. Toute nation devra être considérée comme une personne. Son caractère, sa liberté devront être respectés, car les nations sont égales entre elles comme les individus. Toute nation a