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dans une autre circonstance, le comité avait dit : « Nous persistons à vouloir que le premier allié de la plus puissante République du monde soit le plus puissant monarque de l’Europe. » Et si le roi de Prusse refuse, s’il s’obstine, qu’il prenne garde : on le brisera. Napoléon se flattera un jour d’exécuter la menace.

Avant d’épouser une Habsbourg, Napoléon, continuateur et surtout réalisateur des idées révolutionnaires, avait montré dans toute sa force le préjugé anti-autrichien. Le maître qu’eut la France au début du dix-neuvième siècle avait formé son esprit dans les dernières années de l’ancien régime. L’ardeur que le goût de l’opposition et des nouveautés communique à la jeunesse a marqué de son feu la politique de l’homme mûr. Napoléon qui, en Égypte, avait emporté Raynal parmi ses auteurs favoris, a été animé, à l’égard de l’Autriche, de la même pensée que Brissot en 1792. C’est lui qui a prononcé un jour ce mot singulier, si grave : « La Révolution devait venger la Prusse de la guerre de Sept ans soutenue par Frédéric contre la monstrueuse alliance de la France et de l’Autriche. » Après Austerlitz, l’Autriche vaincue, la popularité de Napoléon en France fut à l’apogée. Le peuple français crut que la vieille œuvre nationale, l’œuvre entreprise sous François Ier, avait reçu son achèvement. De cette victoire, des émigrés firent dater leur ralliement à l’Empereur : ce devait être pour Las-Cases l’origine d’un dévouement légendaire. Et Napoléon lui-même savait bien ce qu’il avait fait en dirigeant ses coups contre l’Autriche, en refusant d’écouter Talleyrand qui lui conseillait de ménager cette puissance. En 1805, exposant à Haugwitz les raisons pour lesquelles il tenait à l’amitié de la Prusse, il lui représentait qu’un rapprochement entre la France et l’Autriche serait la chose la plus facile du monde. Seulement, ajoutait-il par un mot révélateur, « cette alliance n’est pas du goût de ma nation, et, quant à celui-là, je le consulte plus qu’on ne pense ». Napoléon flattait à ce point le « goût de la nation », la grande passion de 1792, en écrasant l’Autriche, que, quand, naguère, un antimilitariste célèbre voulut « planter le drapeau dans le fumier », un vétéran de la démocratie, M. Camille Pelletan, lui reprocha d’avoir choisi le drapeau de Wagram, symbole des victoires de la liberté sur les puissances de réaction.