dans la seconde moitié du dix-huitième siècle, concourut à convaincre l’espèce humaine qu’elle était entrée dans une ère nouvelle, celle de la civilisation absolue.
C’est à un prodigieux utopiste, bien oublié aujourd’hui, Fourier, que l’on doit d’appeler la période contemporaine celle de la civilisation et de confondre la civilisation avec l’âge moderne. Fourier était un homme qui ne doutait de rien. C’est lui qui avait inventé d’éteindre la dette d’Angleterre en six mois avec les œufs de poule, combinaison qui n’était pas beaucoup plus chimérique que celle de certains hommes d’affaires d’aujourd’hui qui proposent de reconstruire l’Europe avec le concours des bolcheviks.
La civilisation, c’était donc le degré de développement et de perfectionnement auquel les nations européennes étaient parvenues au dix-neuvième siècle. Ce terme, compris par tous, bien qu’il ne fût défini par personne, embrassait à la fois le progrès matériel et le progrès moral, l’un portant l’autre, l’un uni à l’autre, inséparables tous deux. La civilisation, c’était en somme l’Europe elle-même, c’était un brevet que se décernait le monde européen.
On eût beaucoup étonné nos grands-pères si on leur eût dit qu’un schisme éclaterait un jour dans la civilisation européenne et que la civilisation occidentale s’opposerait à la kultur germanique. À ce moment et sous le coup de la guerre, le mot de civilisation prit une nouvelle actualité et une nouvelle acception. Il représentait l’antithèse de la barbarie. C’était le moment où, en Angleterre, on n’appelait jamais les Allemands autrement que les Huns. Aujourd’hui on invite les Huns à collaborer à la reconstruction d’une Europe qu’ils ont démolie de fond en comble. C’est sans doute ce qu’on appelle avoir de la suite dans les idées.
Un Russe très spirituel disait pendant la guerre : « Nous autres, Russes, nous ne comprenons pas très bien ce que vous appelez la guerre de civilisation. La civilisation, elle nous est venue en grande partie par l’Allemagne. » Il voulait parler en effet de la civilisation industrielle et, bien avant lui, un autre Russe, Herzen, avait déjà dit : « Chez nous, tout est allemand, les horlogers, les pharmaciens, les sages-femmes et les impératrices. » L’Allemagne représentait certainement le plus haut