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un naïf, un sensible, un illusionné, un homme dont on ferait ce qu’on voudrait.

Rentré à Berlin, très diffamé par le parti réactionnaire qui l’accusait de défection, Bismarck communiqua ses impressions à Frédéric-Guillaume IV. Ce fut sa meilleure défense.

Napoléon III est un homme aimable et d’esprit ouvert, rapporta Bismarck, mais il est moins habile qu’on ne dit. On met tout événement sur son compte, et s’il pleut à contretemps dans l’Asie orientale, on en attribue la cause à quelque machination perfide de l’empereur. On a pris l’habitude, chez nous, de le considérer comme une sorte de génie du mal qui ne songe qu’à troubler le monde. Mais son intelligence est bien surfaite aux dépens de son cœur ; au fond, c’est la bonté même, et le propre de son caractère est de reconnaître tout service rendu par une gratitude poussée à un degré peu ordinaire.

C’est toujours avec cette dérision que Bismarck traitera désormais Napoléon III, pauvre halluciné, rêveur humanitaire, absolument dénué d’esprit politique. Personne d’ailleurs ne sut mieux que Bismarck abuser de la sensibilité de l’empereur et jouer de ses « principes ». Bismarck n’eut donc pas de peine à faire entendre à son roi que ce « démon du « mal » était en réalité le bon génie de la Prusse.

Le voyage à Paris acheva de fixer les idées de Bismarck et lui ouvrit certainement des perspectives d’avenir. Il avait compris dès le début de sa carrière diplomatique que l’Empire français lui donnerait les moyens d’exécution nécessaires à ses vastes desseins, et que Napoléon III, « la bonté même », ferait, par complaisance la contre-partie de son jeu.