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çais clairvoyant eût dû les verser, quand fut reconnu le royaume d’Italie. N’était-ce pas Proudhon lui-même, peu suspect de cléricalisme, qui annonçait les malheurs que nous amènerait l’unité italienne, qui nous menaçait de l’ingratitude prochaine de la nouvelle nation ? Autant que l’impératrice, Proudhon était opposé à la reconnaissance du royaume de Victor-Emmanuel. Il accusait la presse française de manquer de patriotisme. Il demandait ironiquement si « les suffrages du Siècle, de l’Opinion nationale, de la Presse, du Temps peut-être et des Débats valaient les trois cents évêques venus à Rome des cinq parties du monde qui votèrent dernièrement l’adresse au Saint-Père ». Et dans cette courageuse et historique brochure qui s’appelle la Fédération et l’unité en Italie, et qu’on pourra toujours utilement opposer à la thèse anticléricale sur la question italienne, il écrivait encore ces lignes prophétiques :

Des faiseurs d’amplifications croient avoir tout dit quand ils ont parlé des races latines ! Ignorent-ils ou feignent-ils d’ignorer que les États les plus antagonistes sont justement les États limitrophes, et les nations les moins faites pour s’unir celles qui se ressemblent le plus ? En politique nos ennemis sont nos voisins : cet axiome est aussi sûr que pas un de Machiavel. En 1854, l’Autriche a étonné le monde par son ingratitude envers la Russie, sa bienfaitrice : c’est que l’Autriche, pour les trois quarts de sa population, est, comme la Russie, un empire slave, et que si ces deux grands États ont des intérêts semblables, précisément pour cela ils sont contraires. Fallait-il nous donner à nous-mêmes le régal de l’ingratitude italienne ? Certes, elle n’a pas attendu,