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de Bismarck. Elles ont été développées tout au long dans ses dépêches à l’ambassadeur. Il morigénait brutalement celui-ci de ses tendances monarchiques par rapport à la France, et sa volonté était de tout faire pour maintenir dans le pays le régime républicain comme étant propre à entretenir les divisions dans son sein et à l’empêcher de se relever. Or M. Thiers était l’homme qui lui convenait pour accomplir ses desseins. Si le prince de Bismarck désirait, en effet, le maintien de la République, il lui aurait déplu, quoi qu’il en ait dit, de la voir tomber dans le radicalisme ; les entreprises et les agitations révolutionnaires lui eussent, créé des embarras et eussent réveillé dans son pays même certaines sympathies de nature à entraver son œuvre, peut-être même à encourager certains mouvements de la part des socialistes déjà fort nombreux en Allemagne. Il préférait donc de beaucoup la République conservatrice, c’est-à-dire un état de choses d’apparence fort convenable, mais dissolvant de sa nature, conduisant, selon lui, au résultat cherché, qui était d’affaiblir la France immanquablement, quoique insensiblement, sans crise violente et sans ces effervescences qui traversent la frontière…

Le prince de Bismarck, bien qu’il ne pût concevoir aucune inquiétude sur le maintien de la paix ou sur la fidélité à nos engagements, fut donc très irrité de voir passer le pouvoir en France des mains de M. Thiers dans celles des conservateurs, et nous ne tardâmes pas à en recueillir des preuves nombreuses. Mes amis n’avaient pas l’intuition exacte des conséquences de leur victoire sous ce rapport. Pour dire toute la vérité, moi-même je ne les prévoyais pas au degré où elles se manifestèrent[1].

Il n’est que juste d’ajouter que M. de Gontaut-Biron n’avait pas manqué, avant le 24 mai, d’avertir loyalement M. Thiers et M. de Rémusat qu’il désapprouvait leur violation du pacte de Bordeaux, leur

  1. Mon ambassade en Allemagne, p. 337.