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considérablement mon trésor, ainsi que les superbes présents que vous m’avez faits vous-mêmes. Telles sont les sources des richesses données à ma fille : elles n’ont rien de commun avec le trésor public. »

De cette réunion de faits ne doit-on pas conclure que, sous la première race, les Francs, possesseurs de fiefs, ne rendaient à l’état que le service militaire ? Ils marchaient comme compagnons du comte, et ils exigeaient le même service des hommes libres francs, romains et gaulois, qui étaient obligés d’aller à la guerre à leurs dépens[1]. A cette obligation se joignait, pour les Romains et les Gaulois, celle de fournir des chevaux et des voitures aux envoyés du roi et aux ambassadeurs qui partaient de sa cour, ou qui s’y rendaient. Ils devaient encore loger et nourrir ces envoyés à leur passage. L’on peut donc croire, avec Montesquieu, M. de Boulainvilliers et M. de Mably, que, lorsque les Germains eurent conquis les Gaules, après une lutte sanglante, ils ne consentirent pas à recevoir un joug qu'ils regardaient comme une marque de servitude. Mais, par une conséquence naturelle de ce préjugé national, il est présumable que les vainqueurs voulurent établir une distinction entre eux et les vaincus libres, en les soumettant A des tributs dont eux-mêmes durent être exempts[2]; et que, s’ils ne conservèrent pas toutes

  1. On appelait hommes libres ceux qui, d'un côté, n’avaient pas de bénéfices ou fiefs, et qui, de l’autre, n’étaient point soumis à la servitude de la glèbe. Les terres qu’ils possédaient étaient ce qu’on appelait des terres allodiales. (Montesq., Esprit des lois.)
  2. Cette distinction humiliante ne se bornait pas aux tributs ; on la retrouve jusque dans la distribution des peines et dans les traitements qui étaient infligés aux coupables ; Parmi de nombreux exemples que l’on pourrait citer d’après les lois ripuaires, on n’en choisira qu’un : il est pris dans un décret du roi Childebert, donné en l'an 595, et qui est remarquable surtout en ce que certains crimes et délits dont précédemment on se rachetait par une composition en argent sont punis par la peine de mort. Cet acte publie le résultat des délibérations prises dans les réunions du mois de mars pendant plusieurs années précédentes; il porte : « Art. 8. Il a été pareillement convenu dans l'assemblée tenue à Cologne, aux calendes de mars, et nous publions : Lorsqu’un juge quelconque apprendra qu'un homme a commis un vol, il se rendra à la maison du voleur et le fera lier ; si le voleur se trouve être un Franc, il sera conduit devant nous, et s’il est une personne de condition inférieure, qu’il soit pendu sur le lieu même.» (Capitul. reg. francorum, édit. de 1780, t. 1, p. 18, et dans les Œuvres de Snuvigny, t. 10, p. 59.)