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Quand il se fâche ainsi, il devient soudain très vieux.

— Mon cher, tu exagères. Ils l’ont dit : un journaliste mène l’opinion.

— L’opinion ? fait Jean Lhair. L’as-tu vue, l’opinion ? Ça vole dans l’air : aigle, oison, colombe. Nous l’attrapons, nous l’habillons, plumes blanches, plumes noires au goût du jour. Puis on la lâche : « Le bel oiseau ! Le bel oiseau ! » Le lendemain, du blanc, du noir, le goût a passé au vert. Vite les plumes vertes : « Le bel oiseau ! Le bel oiseau ! »

— Tout de même, il y a des idées : on pousse au choix d’un ministre ; on préconise un rapprochement avec un peuple voisin…

— Ballon d’essai ! Quand le vent est bon et que ça monte, avec le gros bout du porte-plume, on pousse : « Le beau ballon ! C’est moi qui l’ai lancé ». Le vent tourne ; vite le porte-plume du côté de la pointe : « La baudruche ! Je l’avais dit. La voilà qui crève ! »

— N’importe, il y a des idées qu’on affirme…

— Ouais ! Celles que, d’avance, on sait au gré des lecteurs : Napoléon est mort… Un et un font deux… Celles-là, on y va carrément : « Un et un font deux… Un et un… » Et encore ! Pour les idiots qui nous lisent, un et un, ça fait peut-être deux plus quelque chose.

Dans les couloirs de la Chambre, Jean Lhair devient fringant. Il est chez lui. Moins enfant, au lieu du journaliste qui interroge, il eût été le député qui répond.

— Eh ! quelle nouvelle, Monsieur le Ministre ?