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— Je sais, je sais.

Il a une façon d’ignorer qui sait tout.

— Je suis un journaliste né, déclare M. Sinet, comme un amputé qui se vanterait d’être manchot de naissance.

Piètre consolation ! Jeune, il a suivi des cours. Il voulait devenir un savant, à l’exemple de son père, un grand professeur. Il a voyagé ; il est docteur en beaucoup de choses. Il a écrit deux livres. Il en a rêvé quelques autres. Et maintenant, son pot à colle, son crayon, ses ciseaux… il est ici. Il ne sera plus jamais qu’ici.

Qu’est-ce qui l’a mené là ? le jeu ? les femmes ? l’alcool ? Sans doute, un peu de tout cela et quelque chose de pire. M. Sinet était pauvre, il a eu de l’argent, il en a voulu davantage.

Maigre, le teint rouge, le nez fort, il n’y a pas que ce M. Sinet.

Voici venir les patrons. Ah ! mon Dieu ! Ces dépêches ! ces téléphones ! ces lettres ! ces papiers ! Il en a plein la table, plein la tête. Messieurs. Voyez, comme il se démène, pour l’unique plaisir de vous servir.

Les patrons partis, il reçoit un confrère :

— Bonjour, mon cher. Ça va ?

M. Sinet offre une cigarette, bavarde un peu, se détend — avec de la réserve cependant, car être secrétaire, ce n’est pas rien !

Puis le voilà au « marbre », avec le secrétaire de nuit ou le metteur en pages : des compères. Tiens ! tiens ! Qu’est-ce qui bouge là de si drôle, dans le coin de sa bouche, où pend sa cigarette ?