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en marche, on ne la gorge d’huile, si, par-dessus le marché, on ne lui chatouille certain petit écrou qu’elle a particulièrement sensible, au troisième tour de roue, elle enverra au diable son papier et ne voudra plus rien savoir. Rétive et méchante, quand on lui demande un service, c’est qu’on ne le peut autrement.

— La putain ! dit le conducteur-chef. Si j’étais les patrons, depuis longtemps je l’aurais envoyée, je sais bien où.

— À la ferraille, chef ?

— Non.

Du secrétariat où je travaille, je n’ai pas besoin de les voir. Je reconnais, au bruit, celle qui marche. Dans le claquement de sabots, ce bourdon d’orgue où siffle le sol aigu d’une petite flûte, c’est N° 1 qui se dépêche. Ce souffle court de vieille qui traîne son fardeau, c’est N° 2 qui se fatigue et plie, par le bord, le journal qu’elle devrait plier au milieu ; et ce bruit de pilon, à contretemps, c’est N° 3 qui renâcle et prépare une blague :

— Hé ! Stop ! Arrêtez !

Qu’est-ce que je vous disais ?

— Chaque fois qu’on crie comme ça, me dit le chef d’atelier, je sens un froid dans le dos.

C’est, en effet, avec N° 3 que les malheurs arrivent. Elle n’était pas encore montée, quand un mécanicien, grimpé tout en haut, glissa et alla donner de la tête sur une dent de mauvaise bête qu’elle pointait là tout exprès.

Elle a mangé un pouce du conducteur-chef, plus deux doigts de sa main droite :

— La salope, je la surveille. À présent elle en a à ma jambe !