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— Bien sûr !

La main qu’il me tend ne remplit pas la mienne à cause d’un index qu’il a laissé aux machines. Il est le chef-clicheur.

Il travaille au fond d’une courette, sous les fenêtres du secrétariat. Une pauvre lumière sous un toit vitré. Une cuve où bout du plomb ; par terre, des machines qui surprennent, les unes parce qu’on pense à des gaufriers, les autres, sournoises, basses sur pattes, avec des dents de mauvaises bêtes.

— Qu’est-ce que c’est, Dominique ?

Il me dit de jolis noms, presque des noms de femmes, mais plus difficiles à retenir.

Ils sont là quelques hommes, le torse nu, les mains gantées de feutre, car ce qu’ils touchent, brûle.

Qui pense à eux ? Cachés loin, sans les clicheurs, le journal ne paraîtrait point. Une forme serrée, on la leur envoie. Cette forme était plate : peur épouser les cylindres des rotatives, elle doit devenir courbe. Cela n’a l’air de rien ; il faut en prendre l’empreinte, en couler une nouvelle, la limer, la rogner, la tailler, et très vite, car les formes se suivent, les rotatives attendent et, s’il y a du retard, la faute en est aux clicheurs.

De ma fenêtre, je les regarde se dépêcher d’une machine qui fume vers une autre qui grince. L’air est d’un bleu qui serait beau, par un soir d’automne, au bord d’une rivière. Ici il empeste la corne et donne la colique.

Par les jours de forte chaleur, le ventilateur m’en souffle ma part. J’aurais tort de me plaindre : la leur est la plus forte.