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— Sont-elles en ponte ?

— Tiens ! vous avez deux chiens ?

— Pourquoi n’avez-vous pas de vaches ?

Mais, nom de Dieu, qu’est-ce que ça peut leur foutre ?

Il en est qui passent, fier d’être un beau monsieur, ou quelque jolie dinde à voilette :

— Tiens ! des poules !

Ils lancent un vague coup d’œil et méprisent de haut ce paysan. Ce n’est pas difficile : je suis par terre.

Cet écrivain qu’il me serait difficile de ne pas voir tant il est célèbre, passe en flânant devant ma baraque. À sa cravate, en symbole une chrysoprase ; très chic, dans son œuvre il n’a jamais commis le mot cochon : il n’use que de « vocables ».

Je suis par terre. Petit coup d’œil distrait à ce rustre, puis surprise parce qu’entre mes doigts, il vient d’apercevoir un livre dont le titre est visible. Tiens ! Nouveau coup d’œil plus aigu ; examen global du personnage, légère oscillation : interrogera-t-il ou n’interrogera-t-il pas ?

Fi, un rustre ! Il hausse les épaules et replonge vers en haut, dans les sphères de chrysoprases.

Je n’ai pas bougé.

Demain en quelque jolie volière, pintades et perruches apprendront que le Maître a découvert, en Campine, une brute, mon Dieu ! je ne dirai pas, chère Madame, qui lisait, qui profanait l’œuvre divine de notre divin Verlaine.

— Oh exquis, cher Maître ! Délicieux !! Charmant !!!

Ceux-là m’arrivent droit de chez les Baerkaelens qui s’en sont débarrassés, en les envoyant chez M. Baillon « qui se fera un plaisir de leur montrer ses poules ».

D’aussi loin que je les devine, je cours m’enfermer dans la grange et là, bien seul, loin de la civilisation, au milieu de la paille, je crache tous les « noms de Dieu » que cette visite m’a mis sur le cœur.

Après quoi, je reparais le sourire de travers, aussi peu mufle que je puis l’être.