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Tandis que là-bas Marie se dévoue, je ne veux pas rester sans rien faire. Je balaie la place, je range les chaises, je sème le sable, je souffle mon haleine dans les verres de lampe et les fèle tant je les frotte. Je veux que, lasse de son voyage, elle retrouve une maison en ordre, la soupe chaude, qu’elle n’ait qu’à se mettre à table et se laisser dorloter le reste du jour.

Quelquefois, je lui cuisine une surprise.

— Oh ! délicieuse, dit Marie, à la première cuillerée de cette crème.

Moi aussi, j’ai approuvé : « Délicieuse. »

Mais quel juron, si Marie, et pas moi, avait préparé ce pus.

Elle s’est donné beaucoup de peine, mais maintenant elle a sa récompense. Ses œufs, elle les a vendus un centime plus cher que les autres. « La grosse dame, celle, tu sais, dont le mari est au gaz, en a pris cinquante ; l’autre, qui souffre de l’estomac, en a retenu deux cents. »

Elle me raconte par le menu les aventures de son voyage. Au pont du canal, la locomotive a dû s’y reprendre à quatre fois, avant de le franchir. Quand il l’a eu passé, tout le compartiment s’est mis à rire en disant :

— Ça y est.

— Toi aussi, Marie ?

— Bien sûr, dit Marie, je riais aux larmes.

— Et, dit Marie, tu ne me demandes pas ce que je rapporte dans les paniers.

L’un après l’autre, elle retire les paquets.

— Ça, c’est le collier de Spitz.

— Attends, je vais voir s’il est bon.

— Voici tes clous.

— Juste, ceux que je voulais.

— Voici les harengs pour Fons.

— Hum ! Comme ils sentent bon, Marie.

— Puis, voilà pour toi, grand gosse.

Elle me fourre ses derniers paquets où je retrouve, toujours avec la même surprise, mon tabac, une pipe, et quelquefois, ô bonheur, douces comme des baisers confits, pour trente centimes de dattes !