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comme s’il traînait une brouette. Il en a traîné beaucoup dans sa vie : c’est sa déformation professionnelle. J’ai beau le savoir, je m’étonne chaque fois de lui trouver la tête si près du derrière, comme s’il n’avait pas de ventre.

C’est Spitz qui me guide. Il devine les sentiers que je prendrai. S’il se trompe, je le suis quand même. Le soleil n’est pas meilleur à gauche qu’à droite et partout il y a de la bruyère.

Soudain, il vient s’arrêter près de moi, tout contre, et me regarde accroupi, dans la pose ingénue de la chienne qui pisse.

En hiver, quand il a soif, Spitz, avec ses pattes, brise la glace qui lui dérobait l’eau, puis dans ce trou, il lappe. Aucun dresseur ne lui a montré ce truc.

— Ici, Spitz, ici.

Spitz n’entend plus. Par-dessus la haie, il est loin, dans la prairie où le berger des Trappistes mène ses moutons. Quand il voit un troupeau, Spitz se souvient de sa race : il redevient un vrai noble. Il faut qu’il guerroie, qu’il brutalise les faibles, qu’il aboie ses défis aux spadassins qui les gardent.

— Ici, Spitz, ici !

J’ai beau crier, le berger brandir sa houlette, tout le troupeau se débander, il ne reviendra qu’il n’ait flanqué à ses rivaux, quelque bon coup de rapière.

Attelé dans sa brouette, Spitz redevient sérieux. Plus c’est lourd, plus il s’amuse. Il travaille des quatre pattes, des ongles, du poitrail et sa langue qui pend bave jusqu’à terre. Ployé entre les brancards, il faut que je galope à le suivre. Il me fatigue, tant il m’aide. Parfois, il donne une saccade si violente que le trait se brise et Spitz emporté, continue son élan, cul par-dessus tête, dans le ruisseau.

J’ai un second chien, Fox, un roquet, grelottant que j’avais dès la ville. Je l’ai amené par compassion. C’est un mâle. Mais quel dégénéré ! La bruyère, fi ! vous ne voudriez pas qu’il s’y blessât les pattes ; le pain de seigle, bon pour Spitz ; quant à dormir, Monsieur veut un coussin avec des plumes. Des fois je l’y surprends, roulé en boule, les yeux clos, qui savoure en