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Indulgente, la terre ferme les yeux et se laisse faire ; à ma fourche elle donne ce que les autres lui demandent à coups de bêche : un peu de blé, des carottes, quelques choux et parfois un gros ver de corail rouge.

Tout ce que Marie sème pousse dru, touffu, trop serré.

— Ménagez vos graines, dit Fons, vous en jetez trop.

Bonne Marie ! On voit bien qu’elle est faite pour recevoir, et non pour donner, la semence.

De la cuisine, en plein coup de feu Marie me crie :

— André, vite, veux-tu me prendre trois poireaux.

Je veux bien, mais je bougonne. Je déteste le jardinage : toutes ces petites choses que l’on sème, que l’on plante, qui pourrissent, ne sont pas dans mes attributions. J’aime mieux la grande culture, chez les autres.

Furieux d’avance, devant le carré de poireaux, je choisis le plus fort, celui qui enfonce le plus profondément sa tête blanche dans la terre. À deux mains je l’empoigne, et vlan ! du premier coup il ne vient que les feuilles. Zut ! je les rejette et j’en attrape un second. Tonnerre ! encore rien que les feuilles. Je les rejette, j’en essaie un troisième, puis d’autres et comme, nom de nom ! je m’entête et qu’ils s’obstinent, tout le carré y passe.

Je reviens les mains vides. Je pue le poireau !

Un sentier côtoie mon jardin. Ma propriétaire, qui mourrait si une roue de charrette passait sur son bien, a fait planter, tout du long, des piquets et tendre du fil de fer.

Je ne sais pourquoi cette clôture m’agace.

Un jour une poule s’évade et j’aperçois Marie qui la pourchasse, entre ses pois et ses salades. Elle est un peu lourde, Marie, et je m’énerve à la voir, les mains prêtes à prendre, courir sus à la poule, croire qu’elle la tient et chaque fois la manquer.

— Attends, lui dis-je, je vais t’aider, je suis plus leste que toi.

Je me précipite et, très leste en effet, j’oublie la clôture et trébuche au beau milieu, par terre.