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jure. Mes amis, ma famille, la sienne, ceux qui m’écrivent, la félicitent d’être si bonne. Je lui relis ces lettres : quand on est si bonne, il est encourageant que les autres le disent.

En ville, avant de se choisir une robe, Marie palpait beaucoup d’étoffes. C’était solide, cela durait. Mais elle avait toujours l’air d’arriver de Dixmude pour visiter les vitrines de la rue Neuve. Plantureuse et grasse, avec sa poitrine en peau de Flamande, elle n’était bien que nue.

Ici, elle est parfaite. Dans un chiffon rouge, elle s’est taillé une jupe à la mode campinoise, courte avec de gros plis sur le derrière. On voit ses mollets solides et ses pieds bien au large dans les sabots. Libres, ses seins ne demandent qu’à gonfler, son ventre est rond tout à son aise et encore plus, ce que je lorgne, fort et massif, quand elle se courbe.

De la ville, ce que Marie appréciait, c’est qu’on y mangeait bien. Ici nos menus sont maigres : graissées de lard ou mêlées de salade, pommes de terre à midi, pommes de terre le soir.

— Tout de même, savoure Marie, on ne se fatigue jamais des pommes de terre.

Le travail quotidien.

Je scie en tranches le bois que nous brûlons dans l’âtre. Quelquefois j’y ajoute un morceau de mon doigt : ça saigne.

— Nom de Dieu, Marie !

C’est toujours de sa faute.

Je ne suis plus neurasthénique, mais j’ai gardé le droit d’être irritable. Qu’une contrariété survienne, qu’une poule crève ou refuse de couver, je m’emballe, je grince des dents, je crie très fort — contre Marie, qui est toujours responsable. N’aurait-elle pas dû prévoir que cette poule tomberait malade ; que le vent en une nuit démolirait ce hangar que j’avais mis huit jours à clouer ?

Mais quand une chose réussit, je suis fier, tout seul.

Avec de vieilles caisses, je fabrique des « mues », des espèces