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À ceux qui s’installent près de ma maison, je fais bon accueil. Je vais les voir. Les femmes enlèvent pour moi leur visage de mendiantes. Elles me reçoivent, les yeux clairs, avec des dents qui rient. Les hommes parlent moins : on dirait mes coqs quand je passe au milieu de leurs poules.

Ils ne m’appellent pas « Monsieur ». Les hommes disent « Baes ». Cela veut dire patron. Les femmes adoucissent : « Baeske » petit patron, ce qui est plus câlin quand on veut obtenir quelque chose.

Ils n’abusent pas. Leurs tartines reçues, comme je n’ai pas de vaches, ils ne m’ennuient pas après un peu de lait. Mon eau leur suffit. Le puits est là dans l’enclos où courent mes poules. Dix fois le jour, ils m’envoient les gosses avec des seaux.

— Baeske, de l’eau.

— Oui, oui, allez.

Je ne demande qu’une chose, c’est qu’ils referment la porte. Leur seau plein, ils rajustent le loquet avec toutes sortes de précautions qui laissent le temps de bien voir. Une heure après, pris de scrupules, ils reviennent s’assurer qu’il tient toujours.

— Baeske, me dit ce moutard, voyez donc le beau clou que j’ai trouvé près de votre étable.

Il me le tend, tout rouillé.

— Garde-la, petit, il est pour toi. Il te servira, tiens, à faire un trou dans ce petit machin que tu as sans doute aussi trouvé près de l’étable.

Le machin c’est un œuf qu’il dissimule dans sa main.

— Oh ! celui-là, fait-il, il n’est pas à vous ; je l’ai trouvé dans le bois.

Et après tout, c’est bien possible.

Quand ils sont sur le point de partir, je tâche de passer par là. Si leur roue s’est ensablée, ils me demandent un coup de main. J’en suis très fier : ils ne le demandent pas à tout le monde.

— Vous feriez mieux, dit Benooi, d’avertir les gendarmes, qu’ils fassent déguerpir cette engeance.