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Et comme il expédie sa messe ! Il la dit tous les jours, aux Trappistes, sur un petit autel qu’on lui a réservé. Y assiste qui veut. Courtisan familier, il bouscule le Bon Dieu qu’il ait à s’incarner lestement dans l’hostie. À peine a-t-il quitté l’Évangile, qu’il lève déjà le calice pour l’Offertoire. C’est très commode, le dimanche, pour les chasseurs qui ne veulent pas perdre un long temps à la messe. Leurs chiens attachés tous ensemble dans la cour, ils se rangent autour de son autel, bottés, carnassière au dos, le fusil en travers sur leur chaise. Plus il y a du monde, plus l’abbé se dépêche. À la fin, il crie : « Ite missa est, » comme s’il souhaitait : « Bonne chance. »

La figure de l’abbé est reliée en un vieux cuir brun, mangé de crevasses. Cela résiste à tous les temps. Mais qu’il soulève son tricorne, sa peau en dessous apparaît d’un parchemin si pur qu’on a envie d’y écrire une belle phrase.

Si la soutane de l’abbé avait tous ses boutons, elle en aurait trente-trois. Un jour elle en a quatre, quelquefois deux, mais elle a toujours autant de taches.

Il craint de la salir. Chez lui, quand il travaille, il met, par-dessus, une belle robe de mandarin, en soie bleue, frangée d’or et de boue.

On le voit ainsi, dans son jardin, tirant le rateau, entre ses légumes.

— Il faut, dit-il, respecter la tunique du Christ.

De son voyage en Chine, il a ramené une collection de bibelots dont il est très fier : idoles au ventre d’ivoire, paysages sur papier de riz, menues obscénités en bois qu’il manie avec innocence entre ses doigts consacrés. Il les montre volontiers aux visiteurs qui ont de l’argent. Il tient à ces souvenirs, mais il ne refuse pas d’en vendre : il connaît d’ailleurs tel endroit de la ville où se procurer de nouveaux bibelots, qu’il aura également ramenés de la Chine.

L’abbé est un malin :

— Regardez mon four à pain, dit-il, j’en ai imaginé le modèle.