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Missionnaire, il a révélé le saint nom de Dieu aux Mongols, des sauvages qui ne croient qu’en Bouddha.

— J’étais seul de mon espèce. L’hiver, je me taillais une hutte dans la neige, je grelottais sous des fourrures. En été, je vivais nu, sous une pellicule de soie.

— Et vous aviez une église, une école, des catéchumènes ?

L’abbé fait un grand geste qui ne dit rien.

On le dit un peu fou : il ne pense plus comme ici. L’Occident est beaucoup trop discipliné pour un homme qui a moralisé les sauvages. Malgré Bouddha, je crois qu’il regrette l’Orient, ou peut-être, sont-ce les Mongols qui ont converti leur missionnaire.

Rentré au pays, il a commis une faute. Quelle ? Je serais curieux de le savoir. Des paysans ne la précisent pas.

— L’abbé, dit Benooi, est venu un jour avec sa valise. Il a raconté qu’il venait faire une retraite chez les Trappistes. En réalité, son évêque l’avait envoyé en pénitence. Sa retraite finie, il a pris une chambre chez nous ; le pays lui a plu, il est resté.

La Campine le console de l’Orient. Il y vit libre, comme là-bas, sans remords, en bohème.

Croit-il encore en Dieu ?

L’abbé enjambe un ruisseau. De loin il me crie :

— Je rentre vite : c’est l’heure de mon bréviaire.

Le temps de venir à sa haie et je le surprends qui martyrise du bois à coups de hache :

— Travailler, c’est prier.

Et han ! il tape dur.

— Voyez, je suis comme saint Joseph, fait l’abbé qui rabote une planche.

Demain il forgera du fer et saint Éloi n’aura pas travaillé mieux.

Le paradis est peuplé de personnages dont il imite les saints exemples.

Il les cite en souriant. Mais qu’y a-t-il derrière ce sourire ?