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La table.

— J’aime fort les Baerkaeleus, mais ils manquent un peu d’ordre, me dit Marie, qui, elle, a beaucoup d’ordre.

Elle me montre dans la cour, près de la porte de la cuisine, une table où il y a en effet beaucoup de choses :

Il y a du soleil et de la poussière, du sang qui sèche, une poule sans tête. Il y a trois blouses roulées en torchons, un bonnet de Mélanie, un cigare de Benooi. Il y a une mâchoire de porc, un peu de farine sur une tasse, une lanterne rouillée. Il y a des verres, des mouches qui se régalent, des guêpes mortes, d’autres qui pillent les raisins tombés du mur. Il y a une chatte qui allaite ses jeunes, deux vases de nuit, l’un en porcelaine sans rien, l’autre émaillé, rempli de sable pour écurer les cuivres. Il y a le panier de beurre qu’on expédiera tantôt à la ville. Il y a deux choux verts, une betterave cuite, le réticule en soie qu’une promeneuse a confié parce qu’il était trop beau pour l’emporter dans les bois, et que Fons a jeté là.

Elle sert à tout le monde. Mélanie s’y coiffe, Vader s’y rase, Fons y laisse ses cartouches vides, Benooi sa casquette, moi ma pipe quand je me lave les mains dans le seau de la citerne.

Marie elle-même, lasse d’être debout, y a déposé un jour son gros derrière.

— Tu vois, ai-je dit, tu n’as pas d’ordre.

Elle s’est levée tout de suite.

Trees.

Elle est de la famille puisqu’elle est la servante. Deux yeux tirés tout chauds hors de l’âtre. Orpheline, elle a vingt-trois ans et plus de bien que ses maîtres. En ville, avec sa dot elle serait une demoiselle à corset, à gouvernante, à leçons de peinture, beaucoup trop belle pour un monsieur de huit mille francs par an.

Heureusement pour Trees, elle n’est pas de la ville. Elle vient « de l’autre côté du bois », ce qui est encore plus loin que Westmalle.