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Heureusement que Lice la jument s’y entend à tirer toute seule un sillon bien droit. Le soir, Fons accroche son fusil dans l’espèce d’armoire qui lui sert d’alcôve. Soudain il se lève :

— J’entends des voleurs, annonce Fons, qui file en braconnier.

Quand il entre chez nous, il tire de sa carnassière tantôt une grive, tantôt un lapin, parfois un lièvre : « Voilà pour vous, » et va droit à la cheminée où se trouve mon tabac.

Crotté de boue ou trempé de sueur, Fons à la chasse n’a jamais ni chaud ni froid : il a une température spéciale : il chasse.

L’une après l’autre, il sort ses bêtes, qu’au bout de leurs pattes, je les soupèse.

J’en ai les doigts tout rouges.

— Celle-ci, dit Fons, je la guettais depuis huit jours.

— Oui, Fons, comment cela ?

Et le voilà parti. Il raconte, il mime. Les chaises deviennent des buissons ; sous la jupe de ma femme il y a un gîte ; il recommence son affût derrière la table ; il épaule, son chien attend que le coup parte.

Poète, il introduit dans ma chambre la Campine entière, avec ses bêtes, ses terriers, ses sapins et Fons, le chasseur, qui chasse au milieu.

— Et maintenant, si vous mangiez quelque chose ?

— Je veux bien, dit Fons, si vous avez du hareng.

Pour Fons, il y a toujours du hareng. Il le veut bien grillé, croustillé dur, et d’une seule pièce, de la tête à la queue, il croque ce charbon.

— Quand j’ai mangé du hareng, dit Fons, je me sens fort comme un bœuf.

Bien d’aplomb sur ses bottes, Fons se redresse, puis il s’en va, fort comme ce bœuf.

Le chien de Fons s’appelle Black, ce qui signifie noir. Il le sait mieux que moi. Il connaît l’anglais et le cultive en de vieux journaux qu’on lui rapporte de la ville.

Il aime à lire. Je lui passe des livres, qu’il étudie les soirs d’hiver, près de l’âtre.