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Tout de même, je veux bien.

Il s’en donne trois morceaux et en garde un quatrième comme cuiller pour tourner dans sa tasse.

Ce qui intrigue Benooi, ce sont mes cadres et mes sculptures. Il n’a jamais vu de statues que dans les églises ou sur des cheminées, sous des globes : des vierges ou des saints. Il désigne une Joconde :

— Une belle Vierge, dit Benooi.

— Une belle Vierge, fait-il encore, pour une Princesse Inconnue.

J’ai beaucoup de ces Vierges, il me croit très dévot. Mais pourquoi, à toutes ces Vierges, n’a-t-on pas mis une auréole ?

Un Penseur de Michel-Ange l’a longtemps chiffonné. À cause du siège, il a d’abord pensé à saint Pierre. Mais saint Pierre tient des clefs et puis il porte la barbe.

— C’est plutôt un guerrier, dit Benooi ; voyez sa cuirasse ; peut-être saint Sébastien.

— Oui, Benooi, saint Sébastien.

— Ou plutôt saint Donat, qui préserve de la foudre.

— Oui, Benooi, plutôt saint Donat.

À 9 heures, quand passe le tram, Benooi paraît toujours surpris. Il se lève :

— Et moi qui dois encore verrouiller toutes mes étables !

Tandis qu’avec une allumette il refourre un peu de lune dans sa lanterne, il pense à la joie de se mettre au lit :

— On se fait un bon creux. On tire la couverture jusqu’au-dessus de la tête, on ne laisse qu’un petit trou pour respirer, puis on dort. C’est bon…

— Exquis, Benooi.

— Oui, mais quelquefois les draps sont bien froids…

Il frissonne, il regarde Marie qui chauffée pour le lit, cherche déjà les boutons de sa jupe.

— Vous, dit-il, vous avez de la chance ; vous êtes deux. Vous pouvez vous toucher tant que vous voulez, vous réchauffer l’un à l’autre, comme des poussins, ou de petits cochons.