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coup de sabot lui a défoncé le nez et mis à l’envers la mâchoire. Ce n’est pas un Bon Dieu de parade. Il souffre si fort que j’y crois.

Souvent je le regarde, je lui dis :

— Ô doux Jésus, vous avez mal. Des clous percent vos paumes ; votre nombril bâille comme une autre plaie, et le choc de mes iniquités a fait, de votre face, une gueule. Ainsi vous avez pris sur vos épaules les souffrances de la terre. Vous les avez prises toutes : c’est très bien, faites qu’il n’en reste plus pour les autres.

Telle, ma baraque est la plus pauvre du pays. Romanie, la mendiante, qui vit de la soupe des Trappistes, est mieux logée que moi.

Des parents me demandent :

— Comment pouvez-vous vivre là dedans ?

Je ne réponds pas : « Essayez », car il faudrait leur céder ma place.

D’ailleurs si petite, ma maison est encore trop grande. Il y a trois places : la première où l’on dort, la seconde pour l’âtre. Qu’est-ce que je fais de la troisième ?

— C’est là, ai-je dit, que j’écrirai.

Un jour Marie m’y surprend à clouer au mur, de petits pots, de petites tasses, de petites cruches. Je trouvais cela très beau

— Tiens, m’a-t-elle demandé, tu ouvres un magasin de porcelaines ?

J’ai compris : j’étais ridicule. On n’arrange pas une place ; on l’habite : elle s’arrange toute seule.

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