Page:Baillon - Moi quelque part, 1920.djvu/28

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aller, bras ouverts, comme en pleine eau. Plouf ! Où que je tombe, c’est toujours doux.

Notre lit ne serait vraiment incommode que si l’un de nous venait à mourir. Je me demande ce que je ferais.

En louant ma hutte, ce qui m’a décidé, c’est qu’il y avait un âtre. Sans l’âtre, peut-être serai-je un Monsieur mort dans un cimetière de la ville. Mais il y avait l’âtre et je vis. On se sent tout de suite loin, quand on fait des flammes à même les pierres, avec du bois que l’on casse sur les genoux : on devient simple. En ville, mes flambées incendieraient un Palace. Ici elles montent libres, inoffensives et claires. On peut installer des chaises alentour. On tend la main, le feu est un ami qui vous reçoit. Quelquefois pour rire, il vous pousse sous le nez sa langue chaude et rouge.

Quand on est assis dans l’âtre, par l’ouverture de la cheminée ou voit le ciel tout en haut, quelquefois l’œil d’une étoile ou bien l’épaule d’un nuage. Si la pluie tombe droit, elle vient se brûler les gouttes à mes flammes.

Pour attiser les braises, je fais du vent avec ma bouche par le canon d’un fusil. Autrefois on employait les soufflets à main ; ils sont tous en ville chez les brocanteurs. Les paysans n’en veulent plus. Avec ce bec effilé en seringue, ils avaient toujours l’air de viser un derrière.

Une fois par mois, à cause de la fumée, Marie renouvelle le volant de l’âtre. Empesé frais, il gode comme la jupe d’une communiante. Le chaud le soulève, mais en dessous il n’y a pas de jambes.

Au sommet de la cheminée, un Christ de cuivre étire ses bras, les mains vers six assiettes qui pendent là, trois à gauche, trois à droite. Les touchera-t-il jamais ? Elles sont si loin.

De l’étable où il bénissait les bêtes, une fermière me l’a décroché et donné, pour rien, parce qu’ici on ne vend pas Dieu. Ses flancs de cuivre saignent, il a des épines dans la tête, un