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La lande.

L’horizon rempli de bleu dessine son grand cercle tout alentour. On peut voir, jusqu’au dernier rayon, le soleil qui se couche. C’est aussi vaste que la mer, mais plus serein parce que rien ne bouge et qu’on ne s’énerve pas comme devant l’agaçante turbulence des flots.

Je ne sais pourquoi, elle me fait songer à une femme qui n’aurait pas de sexe, et les mains jointes.

En automne elle porte sa robe couleur foncée de bure ; au printemps elle y pique un peu de vert. Pour l’été, elle se pare et sous ses millions de fleurs, un matin, la voilà rose. On la voudrait toujours ainsi ; mais trop grave, ses fleurs sont encore là, qu’elle repense déjà à sa bure.

L’air sent si bon qu’on dirait qu’il n’a pas d’odeur. Pourtant respirez : c’est frais, légèrement aigrelet comme une tige de bruyère à la bouche, avec un rien de résine qui sort des bois et un peu de ce bleu qui flotte sur les cheminées où l’on fait brûler les branches.

Ces bruyères, ces mares, ces sapins appartiennent à quelqu’un, mais à qui ? Les paysans qui en détiennent une parcelle, ne savent pas toujours où la trouver.

Avec quelques briques et les planches de sa roulotte, un bohémien assagi y a planté une masure. Il défriche le sable, il a déjà deux chèvres ; chaque année, grâce à sa haie, ses biens s’étendent un peu plus loin. On ne lui dit rien : il est chez lui.

La langue.

Je parle le flamand du pays, un patois onctueux qui n’a pas mal à la gorge comme celui de Bruges, ni dans le nez comme celui d’Anvers. Il est doux ; même quand il se fâche, on croit qu’il va chanter quelque chose.

Il y a une foule d’idées poussées ici, qui ne sont que d’ici, qui ne servent qu’ici, qui mourraient si on les empotait dans une autre langue. Comment appeler ce vent rêche qui soulève les champs et les envoie au ciel en poussière ? L’Italie a sa tra-