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— Voyons, frère, dites…

— De regarder, achève le frère, ce qu’une mère ne peut montrer qu’à son enfant, quand elle allaite.

— Vraiment, frère, vous avez vu cela ?

— Oui, avoue le frère. Les premiers jours, au couvent, j’en ai beaucoup souffert. Je revoyais toujours la chose. Le diable, vous comprenez ? Je brûlais comme en enfer.

— Et maintenant, frère ?

Le frère sourit :

— Maintenant, je n’y pense plus. Je ne la vois plus. Le Bon Dieu a été bon : il m’a crevé les yeux.

Frère Ildefonse.

En son temps, frère Ildefonse portait un nom moins compliqué : il s’appelait Jan comme beaucoup de gars de Westmalle qui était aussi son village. Il courtisait la Mélanie des Baerkaelens qui, toute jeune, n’avait pas encore pris son masque de Néron.

Certes, à choisir un mari, elle eût préféré Jan, mais elle ne voulait d’aucun.

Alors sans désespoir, parce qu’aucune femme n’eût mieux convenu dans sa ferme, il s’est tourné vers Dieu.

Pendant vingt ans, Mélanie n’entendit plus rien, puis un jour elle vit entrer à l’auberge un Trappiste à longue barbe, les cheveux ras, comme tous les Trappistes. C’était Jan qui, devenu frère, s’appelait maintenant Ildefonse.

Il portait au bout d’une ficelle un de ces petits colis comme les pères en expédient presque tous les jours vers la ville :

— Mélanie, a-t-il dit, voulez-vous remettre ceci au premier tram ?

— Certes, frère, a répondu Mélanie, en trempant déjà sa plume pour la lettre de voiture.

Le lendemain, il est revenu, puis d’autres jours, avec d’autres paquets, car c’était maintenant sa charge.

Chaque fois :

— Mélanie, dit le moine, voulez-vous remettre ceci au premier tram ?