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Avant de partir, il entre chez les Baerkaelens, reposer un instant ses bras à valises.

Il porte le paletot noir et le tricorne du prêtre, mais le blanc de sa robe le trahit par en dessous. Il peut converser puisqu’il est hors du couvent, et tient à la bouche un gros cigare.

Il connaît par leur nom tous les Baerkaelens et sait de chacun ce qui l’intéresse : les lièvres pour Fons, les vaches et les cochons pour Benooi, le ménage pour Mélanie, des généralités confuses pour Vader qui a des souvenirs.

— Et vos poules ? ne manque-t-il pas d’ajouter quand je suis là.

— Et vous, mon père, toujours en route ?

Alors le bon père met ensemble ses mains et lève au ciel des yeux qui louchent un peu.

— Ne m’en parlez pas, dit-il, hier j’ai vendu deux wagons de fourrage, aujourd’hui je pars pour un procès. Quand je pense que mes parents tenaient un commerce et que j’y ai renoncé pour prier le Bon Dieu à mon aise… Enfin, c’est notre père abbé qui veut.

Et comme il entend siffler son tram, vite, au premier il allume un deuxième cigare et court se caser dans la voiture qui, une fois de plus, va le rejeter dans les tracas de ce monde.

Le noceur.

Ça dégouline comme par tonneaux ; ce que, dans ce pays où il n’en tombe jamais assez, Fons appelle : « une bonne petite pluie sucrée ».

Il me tire par la manche jusqu’à la fenêtre et me montre, sur la chaussée, au milieu de ce déluge, un bon père, sans parapluie, qui se morfond après le train.

— Mais il va se noyer, Fons, pourquoi n’entre-t-il pas ?

— Il n’a garde, répond Fons ; il y est venu trop souvent, autrefois, quand il était de ce monde. Il arrivait d’Anvers. Il s’installait pendant des heures, buvait, goinfrait, devenait l’ami de tout le monde et le soir balançait si fort qu’il fallait se mettre trois pour le refourrer dans le train. Et maintenant, regardez-le.