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et s’apparentant aussi par là à l’humour anglais des Lawrence Sterne et des Charles Dickens, André Baillon s’élève au ton le plus poignant, et pour être discret et contenu, ce dramatisme ou ce lyrisme n’en est-il que plus pathétique. Ainsi, telle simple page, Novice, dans le chapitre consacré à l’abbaye de la Trappe de Westmalle, est bien une des proses les plus prenantes qu’il m’aura été donné de rencontrer depuis longtemps dans la production littéraire de ce pays. Tous les amis à qui je m’empressai de la lire en furent remués profondément tout comme moi.

Et tout le temps et quel qu’en soit le mode, on subit le charme du style même. On est séduit à tout instant par des bonheurs d’expression, des trouvailles de vrai poète, des images qui ne doivent rien à personne.

Existe-t-il rien de plus poétique et de plus juste que la description de la Lande au début du livre, où comparant celle-ci à une femme en prière, il dira de son aspect aux diverses saisons : « En automne elle porte sa robe couleur foncée de bure ; au printemps elle y pique un peu de vert. Pour l’été, elle se pare et sous ses millions de fleurs, un matin, la voilà rose. On la voudrait toujours ainsi, mais trop grave, ses fleurs sont encore là, qu’elle repense déjà à sa bure… »

N’est-ce pas exquis ? Quel tableau quintessencierait le caractère du pays avec pareille intensité ? Mais tout le morceau est à lire, ou plutôt tout le livre.

Quand Baillon parle des trappistes, des offices, de la pratique du culte, s’il lui arrive de plaisanter, ou seulement de sourire un tantinet, en somme il demeure respectueux et même religieux comme tout vrai poète. Ce sceptique se double d’un mystique et cette alliance n’est pas le moindre des côtés originaux de ce talent à la fois pondéré et primesautier.